La pensée de Fanon est indispensable pour comprendre le monde d'aujourd'hui. Plusieurs intervenants au colloque «Penser aujourd'hui à partir de Frantz Fanon» ont souligné vendredi dernier à Paris, la nécessité de (re)découvrir la pensée fanonienne et de lui accorder toute l'attention qu'elle mérite. «Frantz Fanon est un philosophe non reconnu par ses pairs car sa pensée échappe aux canevas classiques de la philosophie traditionnelle. Fanon a introduit des notions difficilement acceptables par cette discipline», dira un représentant de l'Unesco qui a co-organisé ce colloque avec l'université Paris Diderot VIIe, à l'occasion de la Journée mondiale de la philosophie. Pour cet intervenant, les débats qui concernent Frantz Fanon touchent de près l'Unesco, car les oeuvres de ce théoricien et militant des grandes causes posent également les questions de la culture, des identités et des conflits qu'elles traversent. «La pensée de Fanon est indispensable pour comprendre le monde d'aujourd'hui, notamment ce qui se passe en Amérique latine, espace où s'est appliquée la théorie de la guerre intérieure développée par lui», a-t-il ajouté, soulignant qu'«il est grand temps de mesurer l'impact et la pertinence de sa pensée». Frantz Fanon est à la fois psychiatre, penseur, théoricien, militant des grandes causes, sociologue, philosophe. Ce sont toutes ces dimensions qu'ambitionnent d'aborder les organisateurs de ce colloque et de définir des clés et des grilles de lecture pour comprendre le monde d'aujourd'hui. Mme Mireille Fanon Mendès France, fille de ce penseur, a considéré qu'«il faut actualiser la pensée de Fanon avec les réalités actuelles du monde». Pour elle, les thèmes évoqués par son défunt père sont d'une brûlante actualité car, a-t-elle ajouté, «son combat n'était pas celui de l'émancipation de l'homme noir ou des peuples colonisés, mais celui de la libération de l'homme tout court par le combat». Le politologue et linguiste Pathé Diagne a évoqué Frantz Fanon à travers les rencontres qu'il a eues avec lui à Accra, lorsque l'auteur des Damnés de la terre représentait l'Algérie en lutte, en qualité d'ambassadeur. Selon le communicant, Ce séjour à Accra a été déterminant dans le parcours politique de Fanon, car il a découvert une Afrique et un tiers-monde en ébullition. Cette présence à Accra, sa rencontre avec des représentants du mouvement anti-colonial et sa participation aux différents forums et rencontres historiques, comme le congrès panafricain qu'avait abrité en 1958 la capitale ghanéenne, ont fortement forgé l'homme. «Le médecin est devenu un homme d'action» souligne Pathé Diagne. L'historien Benjamin Stora, dans sa communication intitulée «Fanon et une lecture de la guerre de libération algérienne», a retracé le parcours de l'auteur de Peaux noirs et masques blancs en rapport avec le mouvement nationaliste algérien et la guerre de Libération nationale dont il a épousé la cause. Benjamin Stora situera également la difficulté de l'émergence de l'esprit fanonien dans les sphères culturelles et universitaires françaises. «La France continue à éprouver des difficultés à assumer sa mémoire coloniale et son passé», dira l'historien pour expliquer le peu d'intérêt accordé à cette oeuvre, très connue dans les pays anglo-saxons et en Amérique latine. Il plaidera pour une autre dimension qui mettra en exergue la dimension de Fanon par rapport à l'universel. Un autre historien, Mohamed Harbi, a évoqué «la question paysanne et mouvements paysans en Algérie». Dans sa communication, il s'est interrogé sur les capacités des classes politiques dans un processus révolutionnaire et sur le rôle de la paysannerie durant la guerre de Libération nationale. Se basant sur ses recherches et ses rencontres personnelles avec Frantz Fanon, Mohamed Harbi a indiqué que «le penseur s'est familiarisé avec le nationalisme algérien en se référant aux ingrédients qui ont constitué le parcours militant de Omar Oussedik». Pour l'historien, «le parcours d'Oussedik est un parfait brassage entre les valeurs traditionnelles et patriarcales qui caractérisent le monde rural et sa vision internationaliste et mondialiste du combat libérateur». Mohamed Harbi a également expliqué que «les paysans, aux yeux de Frantz Fanon, représentent l'ALN qui menait le combat libérateur du fait qu'ils constituaient le gros de ses troupes». Ce colloque, qui a pris fin samedi soir, permettra d'aborder plusieurs axes de réflexion comme «Psychiatrie et politique, Dialectiser les identités et Figures du racisme». Le documentaire Mémoire d'asile de l'Algérien Abdenour Zahzah, ancien directeur de la cinémathèque de Blida, a été présenté aux participants, en marge de ce colloque.