L'inquiétude est perceptible auprès des commis de l'Etat suite à la mise à l'écart de Abdelatif Benachenhou et après la démission provoquée de Mohamed Salah Mentouri. Ces départs forcés sont interprétés comme une reprise en main musclée de la sphère économique publique où une certaine réflexion, voire une liberté de ton, a accompagné ces derniers temps la mise en œuvre des réformes et l'affectation de l'argent du pétrole. Le CNES est l'exemple le plus achevé d'une institution qui, tout en privilégiant l'analyse critique des bilans gouvernementaux, a mis en œuvre une politique de transparence en direction des professionnels et du grand public. L'ex-ministre des Finances se serait, lui, un peu trop écarté des strictes orientations présidentielles qu'aggraveraient des initiatives jugées intempestives dans le domaine de la lutte contre la corruption. Le message que décryptent aujourd'hui les hauts fonctionnaires est le suivant : aucune initiative individuelle n'est tolérée si elle ne reçoit pas l'aval du président de la République et, accessoirement, du chef du gouvernement, seuls habilités à décider et interpréter. Une mise sous haute surveillance du personnel de l'Etat qui transparaît dans le message de Bouteflika, hier en Conseil des ministres, évoquant pour chaque membre du gouvernement « l'obligation de résultat ». Il sera le seul à en juger. On voit mal comment pourrait s'apprécier l'action d'un ministre si son bilan n'est pas soumis à la libre critique des principaux acteurs économiques - et politiques - du pays. C'est une des particularités des grandes démocraties où l'Exécutif ne décide pas, ou très peu, l'initiative revenant aux représentants du peuple et aux forces économiques. En réalité, ce qui arrive aujourd'hui à la sphère économique n'est que la continuité de ce qui a affecté le monde de la politique : la normalisation, c'est-à-dire le rétrécissement des espaces de liberté. Il y a un paradoxe, car l'Algérie, qui ambitionne de se lier à l'Union européenne et d'intégrer l'OMC, aura besoin de se remettre en cause, de faire son introspection et de mettre l'imagination au pouvoir. Mais comment pourra-t-elle s'adonner à de tels exercices si l'intelligence et la réflexion économique sont mises dans un goulag ? Apparemment, les milliards de dollars ont fait perdre le sens des réalités, à moins que cela soit précisément l'usage de tous ces gros sous que l'on veut éloigner du regard du public.