De toutes les institutions étatiques censées veiller au contrôle de l'argent et de la gestion des deniers publics, le Conseil national économique et social (CNES) aura été sans doute le plus en vue. Le plus performant, le plus crédible surtout. S'étant distinguée, depuis sa création en 1996, par sa liberté de ton, sa rigueur dans l'analyse et ses constats sans complaisance, cette institution, que dirigeait Mohamed Salah Mentouri, a forcé le respect. De la vérité des chiffres et la réalité du terrain, le conseil en a fait une mission quasi sacerdotale. Il était un peu cet arbre qui cachait la forêt à l'ombre de laquelle se terrent des instruments de contrôle qui auraient pu et dû débusquer les nombreuses pratiques de la fraude et de la corruption. Régulièrement, l'institution de Mentouri épinglera l'action des déférents exécutifs, contredira leurs chiffres et dévoilera l'illisibilité, voire la caducité de certaines politiques. Stratégie économique, taux d'inflation, ampleur du chômage et marché informel, et le taux de croissance économique sont autant de thèmes sur lesquels le CNES version Mentouri a décerné des avertissements, voire des blâmes aux gouvernement successifs. Cet empêcheur de tourner en rond commençait donc à déranger au plus haut au point ceux qui se plaisaient à berner le peuple par la magie des chiffres en dressant des tableaux de bord économiques et sociaux des plus reluisants. Il fallait donc étêter ce CNES pour le moins encombrant. En 2002 déjà, son président avait déclaré qu'il refusait que son institution se « complaise dans un rôle peu enviable de chambre d'enregistrement relayant obséquieusement le discours officiel ». L'homme subissait des pressions parce que ses rapports et documents ne font pas que des heureux, les citoyens en l'occurrence. A l'époque déjà, on disait que sa tête était « mise à prix », mais il a poursuivi son travail avec la même détermination d'éventer les anomalies, relever les contradictions et, parfois, défier l'Exécutif. Cette institution consultative, dépendant de la présidence de la République, a assurément dépassé, aux yeux du pouvoir, ses compétences. Elle est devenue un vrai contre-pouvoir, au grand bonheur des Algériens séduits par son audace. Un danger aux tenants de l'informel, de l'opacité et partisans des satisfecit à répétition. De guerre lasse, Mohamed Salah Mentouri a, donc, baissé les bras en remettant son tablier au Président, en mai dernier. Les normes et la... normalisation « Je refuse de trahir mes principes », assène-t-il comme pour lever le voile sur la cabale qui le ciblait devant l'opinion publique. « Le gouvernement a toujours voulu empêcher le CNES de faire son travail », ajoutera-t-il quelques jours après. Une révélation très significative, mais au demeurant perceptible, de la nature conflictuelle qu'entretient cette institution avec le pouvoir en général et le gouvernement en particulier. Son successeur, Mohamed Seghir Babes, désigné par Bouteflika, dont il était avant le conseiller aux affaires sociales, a promis de continuer sur la même voie avec, cependant, une subtile précision. « Le CNES accomplira sa mission, mais uniquement sa mission ». Comprendre que son prédécesseur l'aurait dépassée et qu'il aurait fourré son nez là où il ne fallait pas... La démission forcée de Mentouri, loin d'être un problème de personne, était assurément un signe d'un rappel à l'ordre d'une institution qui se permettait des embardées par rapport au discours officiel lénifiant, voire soporifique. Elle marquait aussi la chute du dernier bastion du contrôle de la gestion économique et sociale du pays. Elle signifie, surtout, la reprise en main de la sphère économique par le pouvoir qui ne supportait plus d'être bousculé par des « audits » internes. Or, si cette « normalisation » à l'algérienne est réussie par ce genre de coups de force, l'on ne peut convaincre nos partenaires étrangers du bien-fondé de notre « démocratie ». En l'occurrence, l'entrée en vigueur de l'accord d'association avec l'Union européenne et l'adhésion prévisible à l'OMC imposent des normes, les vraies, de gouvernance. Et à ce moment-là, les normes algériennes vont, ipso facto, céder la place aux normes venues d'ailleurs.