Les massacres du 8 Mai ont-ils un lien avec le présent ? A priori, non. A priori seulement, car lors du colloque organisé par la Ligue des droits de l'homme, les chercheurs et les historiens sont unanimes : le passé colonial a un lien, des liens, directs avec le présent de la société française. « Il y a huit ans, quand j'ai parlé des évènements de Sétif pour la première fois lors de la commémoration du 8 Mai, l'assistance était médusée. Les gens ne savaient pas. Il y a un travail de parenté entre la déportation et Sétif, ce travail de mémoire doit être fait », note le maire communiste de Bobigny, Bernard Birsinger. Ce colloque a aussi permis aux Français d'origine algérienne de mettre en lumière leur statut « d'indigènes » dans la République française, un statut de « sous-citoyen ». Toutes les politiques d'intégration et/ou d'assimilation ont échoué. « Beaucoup de Français ne se sentent pas tout à fait français, des Français sous réserve. Il existe un espace où on peut être Français sans être citoyen. Il y a plusieurs formes de ségrégation à l'œuvre. Ce qu'on appelle couramment les ghettos peuvent être appelés réserves à indigènes et on fait tout pour éviter un contact avec cette population car ce serait préjudiciable pour la société. On veut une soumission de ces corps, c'est le propre même du rapport colonial », tranche Nacira Guénif-Souilamas, sociologue-anthropologue. L'intervention la plus originale revient au sociologue Philippe Bataille. Selon lui, si les immigrés et les Français d'origine algérienne ont subi et continuent de subir le racisme, c'est parce qu'ils ne se sont pas montrés assez solidaires entre eux. « L'idéologie raciste qui existe en France s'appuie sur l'histoire coloniale. Les populations nord-africaines n'ont pas été assez communautaires pour se protéger et faire face au racisme. Les Nord-Africains se sont conduits comme des Français, or ils n'ont pas été acceptés. C'est 30 ans plus tard qu'on paie la note. Il n'y a ni égalité ni protection. Le vécu colonial revient en force », souligne-t-il. En cause : le manque, sinon l'absence de l'enseignement de la colonisation et de l'esclavage et la fébrilité des hommes politiques. « Valéry Giscard d'Estaing a été lepéniste avant Le Pen. L'ancien président français a cherché à renvoyer chez eux tous les immigrés nord-africains. Il a fallu attendre 1984 pour délivrer des titres de séjour aux Algériens », explique Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS. Dans la salle, on ne cache pas qu'il y a une rupture, qu'un point dangereux a été atteint à cause du racisme et de la ségrégation. « L'ascenseur social nous emmène tout droit au sous-sol », avait ironisé une intervenante avant de tirer la sonnette d'alarme.