La campagne de l'artichaut qui tire à sa fin, est en passe de marquer l'histoire de l'agriculture dans cette fertile région de la Mina. En effet, les nombreuses caisses qui encombrent les abords de la RN5 sont les derniers vestiges d'une campagne artichautière fertile en rebondissements. En effet, c'est la première fois, depuis des lustres, que cette plaine intérieure retrouve l'opulence d'antan. Connue pour ses nombreuses artichautières, la plaine de la haute Mina a vu cette culture péricliter au point de disparaître totalement du paysage. Mais grâce à la volonté de deux hommes, un chirurgien dentiste de Oued Rhiou et un commissionnaire en fruits et légumes installé en France, la culture de l'artichaut allait se réapproprier ces espaces. C'est à la suite de la restitution de ses terres familiales nationalisées dans le cadre de la révolution agraire qu'Ahmed Fodil changera totalement de vocation. Son cabinet dentaire installé en plein cœur de Oued Rhiou lui assurait de substantiels revenus jusqu'au jour où il rencontra celui par qui l'artichaut renaîtra. Alors qu'il était en vacances en France, le chirurgien dentiste rencontrera fortuitement le commissionnaire au niveau d'un grand marché de fruits et légumes. De leur première discussion naîtra un projet de mise en valeur des terres que le dentiste venait de récupérer. Ce n'est qu'une fois sur le site que le choix de l'artichaut s'imposera aux deux compères. Très vite ils mettront en chantier le creusement d'un forage et l'implantation d'une artichautière. Grâce à l'acquisition d'une semence sélectionnée, ils purent, dès l'hiver 1992, exporter par avion des quantités appréciables de ce légume vers la France. Malheureusement, la situation sécuritaire ne permettra de renouveler l'expérience qu'une seule fois. Une étonnante productivité Alors que leur artichaut commençait à faire des envieux parmi les paysans du coin -sevrés depuis longtemps de cette culture si généreuse et parfaitement adaptée à leurs terres salées-, les deux associés seront contraints d'abandonner une expérience pourtant enrichissante. Ce n'est que l'année dernière que le néo fellah reprendra la direction des champs avec, à la clef, une toute nouvelle semence aux qualités exceptionnelles. Ce qui explique le prix de 0,5 euro la pièce qu'il devra débourser pour cultiver pas moins de 6 000 plants à l'hectare. Dans la foulée, il fera installer un système d'irrigation localisée afin de réduire les coups de main d'œuvre et limiter les pertes en eau qu'engendre le système d'irrigation traditionnel. Grâce à une parfaite maîtrise du plan de production, les jeunes pousses seront mises en terre dès le mois d'août. Alors que les premiers fruits étaient attendus pour la fin de l'année, les rigueurs exceptionnelles qui caractériseront cet hiver feront légèrement décaler le plan de commercialisation. En effet, la région subira pas moins de 21 jours consécutifs de gelée. Heureusement que le choix du maraîcher se sera porté sur un hybride résistant aux basses températures. Ce qui lui permettra d'éviter une banqueroute. Ainsi, dès les premières récoltes de janvier, le végétal fera montre d'une étonnante capacité productive. C'est ainsi que des rendements supérieurs à 250 quintaux seront enregistrés, à la grande satisfaction du paysan et à la surprise générale de ses voisins habitués à des rendements deux fois moins élevés. Les artichauts auront fière allure avec cette coloration violette très marquée qui fit la réputation des anciennes variétés aujourd'hui désuètes. Renouant avec le succès, l'agriculteur n'hésitera pas à solliciter son ancien compagnon qui se fera un plaisir de réintroduire en France ce légume fortement apprécié des ménagères. Toutefois, des contraintes feront que seules 2 tonnes seront exportées. Le reste de la production sera écoulé sans aucune difficulté sur le marché local. Enivré par ce succès inattendu, le dentiste agriculteur commence à peine à savourer les bienfaits d'une campagne qui s'achève. Pourtant, son esprit est encore habité par le démon de l'artichaut, à tel point qu'il projette de faire profiter de son expérience les agriculteurs de la région. Si des importateurs sérieux pouvaient se charger de la commercialisation, il se dira prêt à fédérer pas moins d'une trentaine d'agriculteurs. Ce qui ferait de cette région un des pôles de production de l'artichaut à destination des marchés extérieurs. Pour y parvenir, notre interlocuteur espère que le ministère de l'Agriculture saura mieux répartir les aides dont il détient la manne. Des aides qui devraient aller essentiellement à la production des plants d'artichaut et à l'encadrement technique de la production. Pour le reste, Ahmed Fodil est convaincu que les fellahs de la région sauront relever le défi de l'exportation.