Il y a un siècle, en 1905, un mouvement d'avant-garde se développe presque simultanément dans plusieurs pays d'Europe. Mais c'est en Allemagne qu'íl s'impose avec force au même moment que le fauvisme. Plusieurs musées allemands célèbrent cet anniversaire : le Kuntz Modern Museum de Bonn, qui possède une très belle collection de peintures d'August Macke et de ses contemporains, le musée Ludwig de Cologne et la Pinacothèque de Munich, avec une impressionnante série de toiles du mouvement connu sous le nom de Blaue Reiter ou Cavalier bleu. Recherchant des niveaux émotionnels extrêmes et des sensations psychologiques profondes, les fauvistes ont célébré des couleurs chaudes et tranchées, en rupture totale avec l'impressionnisme, qui, au début du siècle, continuait à survivre. L'expressionnisme triomphe dès 1905 chez les peintres allemands, soucieux de traduire, en ce début de siècle, une vision résolument subjective du monde. Caractérisé par des couleurs soulignées et par une transcription délibérément exagérée des tonalités, l'expressionnisme allemand s'est installé, le premier, dans les aspects sombres et parfois même sinistres de l'âme humaine. Le terme « expressionnisme » existe dans différentes formes d'art, comme le cinéma, où il ne se manifeste qu'en 1919, mais dans son sens le plus large : il est utilisé pour décrire toute forme d'expression qui place les sentiments subjectifs au-delà des observations objectives. En ce début de XXe siècle, habité par le doute et le pessimisme, la peinture sert à refléter les états d'âme de l'artiste, plutôt que la réalité du monde extérieur. Parmi les premiers peintres allemands qui ont fait partie du mouvement expressionniste, figurent Kichner et Nolde, qui ont mêlé les couleurs brillantes du fauvisme à certains effets fortement linéaires et à des lignes brisées, qui vont rapidement faire école au sein de leur génération. La même année, en effet, un groupe d'artistes expressionnistes allemands se sont retrouvés á Dresde et ont donné à leur mouvement le nom de Die Brucke (le pont). Ce nom, choisi par Schmidt-Rotluff, devait indiquer leur désir de servir de pont vers les arts du futur. Ces artistes étaient fortement influencés encore par Van Gogh, Gauguin, Munch et par l'art primitif. Les peintres de Die Brucke étaient très attirés par les images toutes en perspective des villes modernes qu'ils ont si souvent dépeintes pour exprimer un monde hostile et aliénant. On retrouvera les mêmes obsessions un peu plus tard chez des cinéastes comme Fritz Lang avec Metropolis et M le Maudit. Le mouvement du Pont s'est graduellement disloqué sous la pression des différences de conviction des artistes qui le composaient. L'un des plus grands peintres du mouvement reste sans doute Max Beckmann, qui travaillant isolément a construit ses propres passerelles pour relier la sincérité des artistes du passé à ses émotions personnelles. Comme beaucoup de ses contemporains, il a servi lors de la Première Guerre mondiale, à laquelle il a survécu, contrairement à Macke ou à Franz Marc, mais avec des séquelles psychologiques visibles dans ses autoportraits : il y exprime l'amertume et les hallucinations d'un homme brisé. Rejeté par les nazis, dont on connaît l'aversion pour la peinture moderne, Beckmann finira ses jours aux Etats-Unis dans une solitude tragique. Autre artiste majeur de cette période expressionniste, August Macke avait, lui aussi, été fortement influencé par Matisse et Cézanne, qu'il découvrit lors d'un voyage à Paris après avoir abandonné l'Académie des beaux-arts de Dusseldorf. Avec son Arbre dans un champ de blé, il montre qu'il est encore sous l'emprise des impressionnistes. Lors de son voyage de noces à Paris, il peindra son célèbre Autoportrait au chapeau qui marque la naissance d'un style qui lui est propre. Sa femme, qui exercera une influence déterminante sur sa brève carrière, lui servira de modèle pour son Femme de l'Artiste au chapeau et son Portrait aux pommes. August Macke organise, en 1913 à Bonn, une exposition intitulée « Les expressionnistes rhénans » pour laquelle il avait réussi à regrouper autour de lui une quinzaine de jeunes artistes tournés vers le modernisme. Cette exposition, qui appartient au Kuntzmuseum de Bonn, est actuellement ouverte au public. On y retrouve des œuvres d'Ernst Moritz Engert, d'Heinrich Campendonk, de Calo Mense, d'Heinrich Mauen, de William Straube ou encore de Hans Thuar. La tendance expressionniste s'était fortement développée en Rhénanie vers 1909 et on retrouve l'influence majeure de Matisse dans cette exposition des compagnons de Macke. A Bonn, où il était retourné deux ans plus tôt, il rencontre le peintre russe Wassily Kandinsky, qui va révolutionner l'art pictural du XXe siècle, et approfondit son amitié avec Franz Marc. Les trois artistes vont créer ensemble un mouvement qui va rester célèbre par sa fulgurance artistique autant que par sa tragique brièveté. Macke participera activement á l'écriture de L'Almanach du Cavalier bleu en 1912 dans lequel les artistes énoncent en particulier que « la forme est l'expression extérieure du contenu intérieur ». August Macke introduira dans l'almanach une étude sur les masques africains dans laquelle il établissait une liaison directe entre les arts primitifs et l'art moderne. Paul Klee et le peintre russe Von Jawlensky se sont également joints au mouvement. Après une exposition des membres du groupe en 1912 à Munich, Macke rompt ses relations avec Kandinsky et Marc, qu'il caricatura l'année suivante dans sa Caricature du Cavalier bleu. Un mois et demi après avoir été mobilisé en 1914, August Macke est tué au combat, tout comme Franz Marc, qui meurt la même année. Le mouvement expressionniste s'est redéployé à la fin de la guerre après la défaite allemande, mais surtout au théâtre et au cinéma. Pour le septième art, le décalage s'explique essentiellement par le fait que l'invention de la lampe à incandescence par Edison a permis les tournages en studio et, par voie de conséquence, l'expression de formes brisées, soutenues par des jeux d'ombre et de lumière. Dans sa forme terminale cinématographique, l'expressionnisme a crié son angoisse devant les dangers du fascisme et de personnages comme Hitler que Fritz Lang a su si bien anticiper dans M le Maudit.