Forte corpulence, vêtu d'un jean noir et d'une chemise de même couleur, barbichette soigneusement entretenue et bouts de moustache toujours relevés, pointus vers le haut, Lounis Aït Menguellet monte sur la scène aux motifs bleus. Les fans sont nombreux. La salle Ibn Khaldoun affiche complet. Le concert se déroule à guichet fermé. Posant sa guitare sur la jambe droite, appuyée sur un tabouret couvert d'une pièce de tissu marron, l'artiste-poète, debout, accueilli d'un tonnerre d'applaudissements, se noie dans le vert des jeux de lumière. La salle tombe dans le noir, laissant le chanteur briller sur scène.Tel un poisson dans un aquarium. Cœur oppressé, Lounis, heureux de retrouver son grand public, interroge d'un geste fin de sa main droite sa guitare « sympathique », faisant ressortir ses toutes premières mélodies. Il balance des mots. Idaq Wul, en guise d'introduction. Le public l'écoute dans un silence plat. Jeudi à 21h. Après une journée de repos, le concert n'en sera que plus beau. Derrière Aït Menguellet, son orchestre composé de cinq hommes. Instruments : guitare, guitare électrique - nouvellement introduite -, deux flûtes, derbouka et bendir entre les mains d'or de Saïd Ghezli. Le chanteur maintient son rythme, inamovible. Zrigh Mazal (je sais qu'il n'est pas temps), puisée de son riche répertoire, enchaînée à Dda Yi Dir, de son dernier album Ynnad wamghar, fait rappeler à l'auditoire le tréfonds de son vécu. Avec D nnubak (c'est ton tour), chanson rythmée, Lounis met le public dans le bain de son univers romantique. Il égrène, en douceur, un chapelet de chansons, les meilleures. Soucieux de satisfaire son public, dont le goût diffère en fonction de l'âge, Aït Menguellet offre un mélange de ses chansons. Allant des plus anciennes, puisées de ses années d'or aux plus récentes, le « ciseleur de vers » berce ses auditeurs. A Svar Ay ul Iw (patiente, ô mon cœur), il enchaîne Askuti (le boy scout) et Almusiw. Le troisième âge contemple, oreille attentive à la scène attendrissante, et s'évade dans le monde du poète. Alors que les autres dansent, rient et se défoulent. Le chanteur garde le rythme et continue : JSK, Nekni s warrach n'Zayar (Nous, les enfants d'Algérie) ou encore A mi (mon fils), dont les paroles sont inspirées du Prince, œuvre historique de Machiavel. Le rythme augmente, la salle vibre. Les quelques rares femmes en robe kabyle entrent dans l'arène. Elles dansent. Des jeunes et moins jeunes en pantacourt, casquette, des filles en jean serré et body les rejoignent. Fin de la première partie. Lounis pose sa guitare, cède sa place à Djaffar, son fils, le temps de reprendre son souffle. Djaffar reproduit trois de ses chansons dans un air « déréglé », voix étouffée par la percussion. Son père revient. Entrée : Ettas (dors). Il est déjà 23h. Le public, gagné par la fatigue, se réveille. Lounis chante Inasen (dis-leur), son avant-dernier succès. Une chanson dont les paroles dessinent l'Algérie officielle, reprenant le discours trompeur des dirigeants. Autre manière de dire les maux que subissent les populations, ce petit peuple dénué, appauvri et meurtri. Asendu (les brasseurs de vent), Di ssuq (au marché), Ruh (pars)... le chanteur émerveille son public qu'il retrouve, 40 ans après, dans cette salle. Il sue. C'est la fin du concert. Le public, content, rentre chez lui, prêt à revivre une telle soirée.