Finalement, les familles qui habitaient dans l'enceinte même de la plate-forme pétrochimique de Skikda ont été évacuées manu militari pour se voir placer dans un centre de transit. A priori, on aurait tendance à applaudir cette opération qui dans sa forme est venue à juste titre évacuer tout risque sur les installations pétrochimiques du deuxième pôle hydrocarbure national et éloigne aussi ces mêmes familles des dangers potentiels. Elle permettra même l'implantation d'une nouvelle raffinerie qui sera incessamment en chantier. Ceci dans la forme, mais dans le fond, l'opération, qui a été faite sous la pression directe de Zerhouni et de Chakib Khelil, n'est pas aussi simple qu'elle le paraît. Une simple virée au centre de transit aménagé pour accueillir ces familles suffit pour témoigner du gâchis. Dans ce centre implanté dans deux hangars désaffectés dans la zone de dépôt de la commune de Hammadi Krouma, des familles entières ont été déplacées. Une partie habitait aux alentours de l'ancien domaine Barrot, et l'autre l'ex-aérodrome de Skikda, deux périmètres faisant partie de l'enceinte de la zone pétrochimique de Skikda. Au centre de transit, les familles sont entassées dans des « box » de 12 m2 séparés par de simples feuilles de bois de 2 m seulement de hauteur. Il suffit juste d'y « jeter un coup d'œil » pour voir ce que font les voisins. L'intimité est quasiment inexistante et les femmes doivent parcourir des dizaines de mètres pour rejoindre les sanitaires. L'aménagement de ces box en bois dans des hangars ne fait d'ailleurs qu'envenimer la situation. Il suffit d'y entrer pour suffoquer. Les chaleurs du mois de juin augurent déjà des fournaises qu'auront à vivre ces femmes, ces enfants et ces vieux lors de la saison estivale qui s'annonce déjà. Les habitants des lieux racontent : « Nous ne savons plus quoi faire. La nuit, la tôle des hangars imprègne les lieux d'un froid insupportable, et le jour, nous ne pouvons même pas rester plus d'une heure dans ces box ! Regardez, nous partageons le même espace avec les pigeons et la nuit, les lampadaires des hangars restent allumés. Et comme nous ne disposons pas de toiture, nous sommes obligés de dormir sous leurs réverbérations. » L'ossature des box est considérée par les citoyens comme étant un danger potentiel « la moindre flamme risque de tout emporter en quelques minutes seulement », attestent-ils. D'autres habitent des tentes implantées aux alentours des hangars. Les conditions sont insoutenables. La chaleur, la poussière et l'insécurité. « Nous avons peur pour nos enfants. Nous savons que ces lieux sont infestés de rats et de serpents. Nous ne savons plus si on doit dormir ou faire le guet », raconte un des habitants. Dans cette situation, les enfants sont certainement les plus malheureux. Ils doivent parcourir plusieurs kilomètres pour rejoindre leurs établissements d'origine. En plus de leurs conditions, les habitants évoquent aussi d'autres problèmes demeurés en suspens. Pour les anciens habitants de Barrot, une partie d'entre eux raconte : « On nous avait promis à l'époque un lot de terrain en plus d'une somme de 200 000 DA afin de construire nos logements. Ce n'est qu'en 2005 qu'on nous a enfin débloqué 80 000, et depuis on attend. » Une autre partie des habitants reconnaît néanmoins que plusieurs habitants avaient réellement bénéficié de lots de terrain ou de logements, mais ils les auraient, à les en croire, vendus. Cette hypothèse est d'ailleurs reprit par l'administration locale qui témoigne que l'ensemble des personnes concernées était au courant de leur évacuation et qu'ils auraient tous bénéficié soit d'un lot de terrain, soit d'un logement. Pour la deuxième partie des habitants de l'ancien aérodrome de Skikda, les choses semblent beaucoup plus complexes. En 1995, l'entreprise de gestion de la zone industrielle de Skikda (EG ZIK) signe une convention avec l'APC pour la construction de 251 logements au profit des familles habitant dans le périmètre de la plate-forme pétrochimique. Une enveloppe globale de 130 millions de dinars est dégagée par la ZIK. L'APC construit alors 117 logements évolutifs à Laghouat, juste à l'entrée de la cité balnéaire Ben M'hidi. En 1999, l'APC vient interpeller les habitants pour leur demander de quitter les lieux et d'aller occuper les « logements » construits pour eux. Refusant le fait accompli, les habitants crient au scandale et refusent d'abdiquer. « On ne nous a même pas sollicités avant de construire pour nous. D'ailleurs, ce ne sont pas des logements, mais plutôt des gourbis en dur qui ne répondent nullement aux normes de construction. Nous ne cherchons pas à rester dans nos demeures, mais on voulait juste habiter des logements décents, c'est notre droit le plus élémentaire », témoigne un des habitants. Sûrs de leur cause, ils continueront à se battre. En mars 2000, le wali de Skikda reconnaît lors d'une réunion leur juste cause avant de se rétracter par la suite. Munis d'une expertise qui démontre les irrégularités relevées dans la construction de leurs logements, ils portent l'affaire en justice. Ils vont jusqu'à demander une contre-expertise, mais ils se verront déboutés. Ils vont par la suite saisir la Présidence de la République qui réagit et demande de retarder leur évacuation jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée. Mais c'est suite à cette action que toutes les portes leur seront fermées au nez. La Zik intervient à son tour et les poursuit en justice. « On ne nous a même pas donné le temps, on a profité de l'évacuation des habitants de Barrot pour nous y inclure, alors que la justice n'avait pas encore tranché définitivement. » Ils exposent le cas de trois habitants qui sont encore en justice avec la Zik mais qui ont été tout de même évacués. Aujourd'hui, tous ces citoyens sont au centre de transit. C'est un fait accompli, mais est-ce une raison pour fermer l'œil sur certains dépassements ? Les habitants racontent qu'avec l'argent fournit par la Zik, l'APC aurait pu bâtir des cités au lieu de ces taudis. Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait ? Mais cela nous renvoie à plusieurs autres questions subsidiaires quant à la gestion de ce dossier qui aura duré 5 années. Une durée assez importante pour contenir assez de malversations et de non-dits aussi.