Trois raisons essentielles nous ont poussé à écrire cet article. -Le récent discours du président de la République ; d'une rare violence contre ces lourdes machines bancaires. La situation de surliquidités qui permet maintenant une prise en charge de ces créances infondées découlant des risques de change. Les leçons tirées de l'impuissance des banques et des investisseurs à sortir d'une impasse par les mécanismes traditionnelles. Plus de dix années après, les entreprises débitrices n'ont pas pu payer, et les banques artificiellement créancieres n'ont pas pu récupérer leurs créances en dépit des prérogatives exorbitantes que la loi leur donne. Voilà comment le choses se sont passées. Au lendemain de 1988, les réformes économiques ouvraient le terrain de l'investissement aux initiatives privées. Des licences d'importation d'usines clés en main étaient accordées à des entreprises privées qui pouvaient bénéficier de lignes de crédit octroyées par des banques et des consortiums de banques étrangers. Le processus se faisait selon le schéma suivant : L'investisseur privé déposait son projet et son étude technico-économique pour l'obtention de la licence d'importation. Le montant de la licence était libellé et exprimé exclusivement en dinars (point fondamental). Le crédit était accordé directement par la banque ou le consortium à l'investisseur national. Le crédit devait être piloté par une banque algérienne de premier ordre. Le rôle de la banque se limitait à être un guichet par où devaient transiter les opérations. La quasi-totalité des licences furent accordées juste après 1988 à une période où la cotation administrée du dinar le plaçait semble-t-il au-delà de sa valeur réelle commerciale. Avec une moyenne de deux à quatre années de différé de paiement, la première échéance de remboursement tombait aux alentours de 1992-1994, années qui coïncidaient avec ce qu'on a appelé les grandes dévaluations (le différé de paiement est la période qui sépare l'entrée en vigueur du crédit et le début du remboursement). Dès les premières tombées d'échéances, les investisseurs eurent la désagréable surprise de constater que les ponctions opérées dépassaient et de loin les remboursements auxquels ils s'attendaient. Les paiements surnuméraires provenaient du fait que les banques algériennes qui effectuaient les ponctions avaient calculé la contrepartie en dinars algériens de la somme fixée en devises, par référence au cours du jour à la date du remboursement et non au cours à la date de la signature du contrat ou de la convention de crédit ou de l'entrée en vigueur du crédit. La dévaluation du dinar entre ces deux dates (date de remboursement et entrée en vigueur) avait gonflé d'une façon considérable les sommes que la banque algérienne prélevait sur le compte de l'investisseur (il faut signaler que la banque prélevait directement du compte sans donner d'explications). En appliquant ce principe dont on évaluera la légalité et la légitimité, les banques algériennes allaient plonger les investisseuses dans le cercle infernal de la dévaluation. Il s'agissait, il s'agit d'un véritable cercle et pour cause. Les montants surnuméraires ne sont pas seulement la résultante de la perte de change tout en découlant d'elles. Pour être plus explicite, il faut noter que la dette bancaire découle du principal établi en devises et calculé en dinars, mais aussi de certains sommes et frais qui sont calculés selon des taux afférents à la créance. L'évolution de la créance principale et des autres frais est donc proportionnelle ; l'évolution de la créance totale prenant une ascension exponentielle. Ainsi les sommes imputées aux entreprises ne sont pas la résultante unique de la perte de change, mais aussi du gonflement conséquent des agios de frais et toutes sortes de taxes bancaires. Sur le plan purement économique, toutes les études basées sur une parité révolue et dépassées se trouvaient complètement faussées. Sur le plan juridique, une interrogation cardinale devait être traitée et réglée : le calcul et le remboursement des crédits devaient-ils se faire par référence à la parité du dinar selon le cours du jour de l'entrée en vigueur du crédit ou bien selon le cours à la date de la tombée d'échéance ? La réponse juridique doit être donnée par le recours à deux sources : 1-Les conventions ou contrats signés par les parties, à savoir l'investisseur national d'une part et la banque ou le consortium d'autre part. 2-Les textes législatifs applicables en la matière, algériens ou étrangers, c'est-à-dire les lois du pays des banques dispensant les crédits. Les conventions Dans le cadre de notre collaboration avec le comité des entreprises victimes des pertes de change, nous avons pu avoir entre les mains un échantillon d'une vingtaine que nous avons pu répartir en deux groupes : 1- Le premier de douze dossiers où nous n'avons trouvé aucune convention ni aucun contrat. Le crédit a été débloqué sur la base d'une simple missive ou d'un télex informant l'investisseur de l'entrée en vigueur du crédit ; il lui fallait passer la commande auprès du fournisseur qui était pratiquement toujours désigné et laissait la banque faire le reste. Le second d'un nombre de huit dossiers où il y avait deux types de conventions de crédits : Le premier signé entre l'investisseur et la banque algérienne ; le second signé entre l'investisseur et la banque étrangère. Aucune convention n'a prévu de clause de risque de change. Le problème se trouvait donc dans un vide juridique conventionnel total. Le recours aux textes législatifs allait nous amener au même constat de carence. L'Algérie n'a pas comme les autres pays une loi sur le crédit qui traite de ce contrat de crédit qui est un contrat extrêmement technique particulièrement complexe. A ne pas confondre ici avec la loi sur la monnaie et le crédit qui traite d'un sujet complètement différent. Il faudra recourir aux dispositions générales du code civil qui est le droit commun des contrats ; mais les généralités d'un code civil révéleront rapidement leurs carences devant une opération aux dispositions et aux implications très précises. Dans pratiquement tous les dossiers, les magistrats ont adopté une position que nous trouvons négative. Deux types de jugements ont été rendus dans les affaires que nous avons eu à traiter et à connaître : Des décisions de rejet en la forme pour des motifs pas très convaincants dont nous citons les exemples suivants : Il faut citer la direction régionale, car l'agence qui a signé le crédit n'a pas la personnalité morale. Mais Monsieur le Président si elle n'a pas la personnalité morale pourquoi a-t-elle signé le crédit et doit-on conclure que tous les actes qu'elle a pris n'engagent rien ni personne ? Un deuxième rejet a été motivé par le fait que c'était l'investisseur débiteur qui avait engagé l'action alors qu'il fallait attendre que la banque créancière agisse. En fait, la banque n'a pas besoin d'agir car elle prélevait directement, etc. La deuxième type de décisions ordonnait la désignation d'expert qui devait calculer l'encours de la dette. L'expert, comptable ou financier de formation, devait trancher un problème de droit qui n'est pas du tout de son ressort. Cependant, il y a lieu de préciser que des dossiers sont parvenus à un stade assez avancé et les experts désignés ont réduit d'une façon considérable les créances revendiqués par la banque. Evaluation économique Afin d'étudier l'impact de la perte de change, nous avons procédé à des simulations et nous avons abouti à deux encours de la dette. Premier encours : si le crédit avait fonctionné normalement, c'est-à-dire avec une constance de la parité. Deuxième encours : application normale de la perte de change, c'est-à-dire en imputant d'une façon régulière la perte de change à l'investisseur. Il se trouve que même le deuxième encours était complètement différent de la créance arrêtée par la banque. Cette dernière doit avoir des calculs particuliers qu'elle seule peut expliquer et encore. Cette gabegie a laminé des centaines d'entreprises, elle a fait perdre des milliers d'emplois et causé un manque à gagner incommensurable à l'économie nationale.