Il est révolu le temps où le salarié était quasiment certain d'entamer une carrière professionnelle au sein d'une entreprise, et d'y prendre sa retraite sans aucun risque d'être remercié. C'était en quelque sorte une garantie de boulot à vie, une sorte de contrat indéterminé qui ne disait pas son nom. Aujourd'hui, et depuis une quinzaine d'années, l'algérien a connu puis s'est familiarisé avec des lexiques qu'il ignorait jusque là :chômage, contrat de travail temporaire, journalier, vacataire, des termes qui expriment tout le malaise profond qui a contaminé le monde du travail réel, auquel il faut ajouter la plaie du commerce informel. A Constantine, comme un peu partout à travers les viles d'Algérie la cohorte de chômeurs, de demandeurs d'emplois, et d'universitaires anxieux de rejoindre le monde du travail et de grossir les deux premières catégories, ne fait que grandir. Le travail informel ou pour les plus « riches », le taxi, peuvent être une solution, un palliatif, qui restent quand même temporaire. « J'étais un cadre à COMAMO et je gagnais bien ma vie, jusqu'au jour où on nous a proposé le départ volontaire, une sorte de licenciement déguisé. J'ai empoché quelques millions en espérant retrouver un autre boulot. Peine perdue. Aujourd'hui, je fais le taxi après des études supérieures et une quinzaine d'années en tant que responsable ». Ces propos amers d'un cadre devenu taxieur sont la triste réalité de milliers de salariés sur lesquels, un beau jour, le ciel leur est tombé sur la tête. A l'agence de l'emploi locale, on se démène comme on peut pour expliquer aux centaines de demandeurs d'emplois qui se présentent chaque jour les nouvelles donnes. « Pour une cinquantaine de demandeurs d'emploi, on ne peut satisfaire que deux ou trois. Et la plupart du temps ces mêmes personnes reviennent re postuler pour un autre emploi. Le motif en est que les entreprises, étatiques ou privés, ne veulent recruter que dans le cadre du préemploi, pour un salaire de misère. Au bout du compte, si le « recruté » n'en a pas marre au bout de plusieurs mois de toucher des clopinettes (Le salaire proposé varie de 2500 à 8000 dinars. NDLR), l'employeur lui proposera un contrat à durée déterminé (CDD), en général pour une période de douze mois, pour aboutir enfin à un contrat à durée indéterminé (CDI), c'est-à-dire une permanisation. « Malheureusement, et dans plus de 80% des cas le CDI reste un vœu pieu, une chimère, tant les entreprises, tout statuts confondus, se complaisent dans ces situations ou ils font et défont les carrières à leur gré à l'aide d'une réglementation désuète qui ne prend plus en compte l'intêrét du salarié » nous dira un responsable. La menace chinoise Il est vrai que depuis quelques mois, les responsables du pré emploi à Constantine ont mis les bouchées doubles pour vider leurs tiroirs des demandes sans suite qui se sont entassées au fil des années. Beaucoup d'entreprises, notamment publiques, comme l'ENMTP, ont recruté des dizaines de travailleurs, cadres et ouvriers, mais toujours dans le cadre du pré emploi avec comme « cadeau » une épée de Damoclès nommée contrat pré emploi, ou contrat temporaire, c'est selon. Mais avec tout ces efforts conjugués, beaucoup d'universitaires restent sur le carreau, surtout ceux issus de filières scientifiques, comme les médecins, les dentistes et les vétérinaires, ou ceux ayant décroché un ingéniorat dans les branches techniques. D'un autre côté, et avec les giga chantiers que sont les deux nouvelles villes Ali Mendjeli et Massinissa, le bâtiment et travaux publiques se porte bien sans que l'on ne tombe dans la facilité et qu'on se dise que « quand le bâtiment va, tout va ». Des centaines de travailleurs du bâtiment, donc, très longtemps au chômage ont repris le chemin des chantiers, des chantiers qui même s'ils sont implantés pour longtemps, ne sont quand même que temporaire, avec à terme une masse énorme d'ouvriers du BTP qui va se retrouver sur le carreau, sans jeu de mots. Mais déjà, une menace est en train de prendre forme contre les salariés du bâtiment, qui se matérialise en ces centaines d'ouvriers et cadres chinois qui ont en charge une grande partie dans la réalisation des deux nouvelles ville de Constantine. « On ne sait pas combien sont payés les ouvriers chinois. Tout ce qu'on sait c'est qu'ils le sont bien moins que nous », nous dira un syndicaliste du BTP. « A terme ces mêmes travailleurs risquent d'être embauchés par des entreprises algériennes, et là beaucoup des nôtres (les ouvriers. NDLR) connaîtront les affres du chômage pour le restant de leurs jours. Je cois que l'Etat doit dés à présent prendre en charge ce qui pourrait devenir un danger pour l'emploi des ouvriers du bâtiment. On voit ce que l'Europe et les Etats-Unis ont fait suite à l'invasion de leurs territoires par le textile chinois. La même chose risque de se produire chez nous ». La précarité de l'emploi n'est donc pas un vain mot, et les secteurs qui ont été épargnés ces dernières années par ce fléau risquent à leur tour de se retrouver dans l'œil du cyclone.