L'absence de toute norme de bonne gouvernance ne permet pas au peuple d'accéder ni à la citoyenneté ni à la sécurité au sens large du terme. Ce n'est pas avec un formalisme institutionnel qu'on puisse effectivement réaliser les droits politiques, sociaux, économiques et culturels de la population. Non seulement ces droits ne sont pas admis, mais en plus la violence est utilisée comme langage et moyen de règlement des conflits. L'état d'urgence, une parfaite illustration, instauré et reconduit illégalement depuis février 1992, permet aux services de sécurité des perquisitions à domicile à toute heure et par tout agent. Cette loi réprime davantage les libertés qu'elle n'est susceptible de prévenir ou de lutter contre le terrorisme, pire parfois il le renforce sans compter qu'elle soit antinomique avec la volonté du peuple à construire son Etat de droit. C'est un véritable artifice qu'on agite, chaque fois que de besoin, pour empêcher l'expression autonome de la société. Les dirigeants se soucient beaucoup plus de la gestion de la crise que de son règlement, c'est dans ce contexte que des massacres ont été perpétrés, des disparitions forcées ont eu lieu et des fortunes sont amassées en un temps record. Des fortunes colossales se sont constituées de manière « spontanée », à l'ombre de la violence et de la répression, des richesses surgies du néant. Les phénomènes de la corruption et du trabendo ont pris le pas sur le travail et la production avec l'aide de sphères dirigeantes. Aujourd'hui, les relais traditionnels sont agités pour convaincre les Algériennes et les Algériens du bien- fondé de la démarche du pouvoir portant sur l'amnistie et la réconciliation nationale. Il reste à savoir comment le système et les institutions peuvent favoriser réellement un climat amenant à ce genre d'objectif. On assiste à une campagne pleine des slogans sonores et bruyants, à travers des comités et des commissions, sans que personne connaisse le contenu ni même ses contours donc sans démarche cohérente et sincère. Le cadre mis en place peut être lui-même source de l'échec, car dans l'imaginaire des Algériens toute commission constituée sert à étouffer une vérité (commission sur les fuites au bac, commission Boudiaf...). L'amnistie et la réconciliation, concepts généreux par ailleurs, sont présentées comme solution sans mise en place au préalable de mécanismes et l'instauration d'un climat assurant le succès avec un véritable débat national et non une simple opération électorale référendaire relevant d'une coquetterie mais œuvrer pour la réalisation d'un consensus national car il ne s'agit pas d'une question de majorité et de minorité qu'on peu évacuer de manière aussi simpliste. Un tel objectif doit émaner de la volonté générale qui réclame la vérité et la justice et non une opération visant à occulter la vérité et diluer les responsabilités. La réconciliation et une paix durable ne se décrètent pas mais se construisent avec un Etat de droit qui reconnaît ses torts pour pouvoir les réparer, la participation des partis politiques, du mouvement associatif, surtout des victimes ou de leurs familles et l'aide de tous les citoyens. Par ailleurs, seules les parties concernées peuvent pardonner et se réconcilier, entre le citoyen et son Etat et entre la victime et son bourreau. Mais d'abord créer un contexte, un climat favorable dans lequel les parties peuvent aussi être mises en confrontation l'une avec l'autre, connaître toute la vérité pour ensuite pardonner, c'est ainsi que les facteurs de discorde disparaissent, sans laisser de séquelles, pour ne plus revivre le même drame demain. Autrement, la persistance des mêmes causes ne peut engendrer que les mêmes effets. Occulter les causes et diluer les responsabilités, c'est faire avancer le pays dans un brouillard en espérant qu'il n'y ait ni obstacle ni ravin mais dont la chute risque d'être fatale. En effet, les conséquences d'une telle démarche seront plus terribles encore car on approfondit « les fractures ». Pas de paix sans pardon, mais le pardon est l'étape ultime d'un processus qui cerne et identifie les causes et surtout qui situe les responsabilités des personnes ainsi que des institutions. Connaître toute la vérité et que justice soit faite ne doivent pas non plus être perçus comme une vengeance des uns sur les autres, ni un règlement de compte et encore moins une chasse aux sorcières. Les valeurs fondamentales telles que le pardon et la réconciliation ne doivent pas être vidées de leur sens, galvaudées et discréditées, car la société sera sans âme, sans civilisation et le retour à la préhistoire où tout petit conflit se termine dans le sang. C'est l'avenir de toute une nation qui est compromis. Ainsi, les solutions ne peuvent émerger et durer que si le sentiment de responsabilité prospère. Mais avons-nous aujourd'hui des institutions capables d'assumer les errements du système et de prendre en charge un tel projet ? Notamment une justice qui doit jouer pleinement son rôle de service public pour connaître toute la vérité sur ce drame national. Aussi, il n'est pas possible de prétendre convaincre l'opinion nationale et internationale de la crédibilité d'une solution si les responsables et les institutions concernés, à quelque niveau qu'ils soient, présentent une conduite et des agissements contraires aux vertus des valeurs proclamées. Pour qu'il y ait pardon et réconciliation encore faut-il que les responsables soient identifiés et que le peuple sache qui a fait quoi. Mais y a-t-il cette volonté politique ? Bien au contraire, sur le plan politique, on assiste à des réaménagements perpétuels dans un régime obsolète avec une rare férocité. Réduire l'amnistie et la réconciliation nationale à une opération référendaire ou procéder à la compensation des victimes ou des familles meurtries par des moyens financiers sans situer les responsabilités ni connaître les bourreaux et ne pas faire toute la lumière sur les événements de plusieurs années, c'est absoudre tous les crimes contre l'humanité et contre l'économie nationale. En fait, c'est ancrer la culture de l'oubli et de l'impunité, c'est le refus d'une rupture avec un régime qui a érigé la manipulation, la violence et la répression en mode de gestion des conflits. Les réparations sont d'abord psychologiques et morales puis une prise en charge réelle sur les plans matériels et autres. Le respect des droits de la personne humaine sous tous leurs aspects est le fondement d'une paix dynamique à laquelle chaque citoyen aspire, pas une paix négative ou une absence de guerre. C'est un ordre nouveau ou chacun voit reconnue sa dignité et favorisé son propre développement. La paix est un processus permanent, en perpétuel renouvellement et d'approfondissement des facteurs la faisant prospérer. Un tel objectif exige une rupture avec le système en place et un projet alternatif où la réconciliation est globale qui prend en considération les aspects historiques, politiques, économiques, sociaux, culturels et les droits de la personne humaine où l'idée de la violence comme norme de gestion est éradiquée. Un Etat de droit où tous les individus sont justiciables, sans slogans bruyants vite oubliés. Il y a nécessité d'appliquer les lois et règlements et de veiller à leur respect scrupuleux au sein des institutions, de la base au sommet. En l'absence de cet impératif, les institutions de l'Etat deviennent elles-mêmes hors la loi. L'exemple de l'expression « indus élus » par un chef de gouvernement, lui-même, en est un parfaite illustration. Instaurer des conditions dans lesquelles le citoyen sera au fait de ses droits et obligations et des mécanismes et des instruments de recours. Les instances de l'Etat ne doivent pas se couper de la réalité sociale comme c'est le cas aujourd'hui. Cela revient à associer aux grandes décisions ses véritables représentants qu'il a choisis lui-même, à travers des institutions démocratiques ou permettre la participation directe du peuple par un débat national quand la situation l'exige. Ce sont là quelques éléments pour une véritable réconciliation nationale et une construction d'une paix positive et durable, un préalable à l'édification d'un Etat de droit et d'une démocratie irréversible.