Quel avenir pour l'Irak ? Les Irakiens osent de plus en plus cette question pour leur pays déjà marqué par une violence qu'il n'avait jamais vécue auparavant. Par contre, aucune réponse n'est avancée, car le risque d'erreur est trop grand. Même les élections du 30 janvier, plutôt que de donner des réponses aux interrogations les plus poignantes, ont au contraire réveillé, sinon mis à nu les antagonismes entre les différentes communautés. Chacune revendique le pouvoir pour elle. Et d'ailleurs, le vote de janvier dernier traduit le réflexe communautaire, comme cela est le cas chez les Kurdes et les chiites. Les premiers seraient tentés par la proclamation de leur indépendance n'était le poids des pressions extérieures, turques en particulier, Ankara ayant renforcé son attention sur cette communauté depuis l'été 2002. Chez les chiites, l'idée d'une ou de plusieurs régions autonomes dans le centre et le sud de l'Irak refait surface avec des projets plus ou moins élaborés et un débat sur leur utilité. Le gouverneur de la province de Kerbala a révélé, récemment, l'existence d'un groupe de réflexion autour d'une région autonome dans le centre du pays avec la participation de sa province. « Après consultation avec le conseil de la province, on a formé un comité parmi des universitaires, des spécialistes du droit, des hommes politiques et des économistes » pour examiner la question, a indiqué Okaïl Khazali. Selon lui, ce comité aura à déterminer s'il est plus utile pour la province de Kerbala de former une région autonome avec celle de Najaf, plus au sud, ou de s'associer pour cela avec celles de Babylone et de Wasset, plus à l'est. Le comité aura jusqu'au 30 juin pour trancher cette question. C'est sur la base de ses recommandations que les autres provinces seront approchées, a indiqué le responsable régional. Il a d'ores et déjà estimé que toute association avec d'autres provinces se fera sur une base économique plutôt que confessionnelle. Le centre et le sud de l'Irak, où la constitution de plusieurs projets de régions autonomes a été évoquée depuis la chute du régime de Saddam Hussein en avril 2003, sont habités en majorité par des chiites et les liens tribaux y sont forts. Le courant radical du jeune chef religieux Moqtada Sadr est toutefois hostile à l'autonomie, lui qui a toujours critiqué celle des trois provinces kurdes du nord et milite pour un Irak centralisé. Affaiblis politiquement depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les sunnites, qui peuplent le centre de l'Irak, une partie du nord et l'ouest du pays, ne semblent pas, quant à eux, envisager de région à eux, même si un vague projet d'association entre les provinces de Salaheddine, ayant pour capitale Tikrit, Anbar, dont le chef-lieu est Ramadi, et Ninive, qui a Mossoul pour centre, avait été évoqué il y a quelques mois. Le principe du fédéralisme est inscrit dans la loi fondamentale, la Constitution provisoire de l'Irak et devrait être consacré dans celle permanente, dont la rédaction doit être achevée avant le 15 août. En principe, car tout indique que rien ne sera fait d'ici là, et même plus tard, en raison des rivalités existantes, et cette situation expliquerait cet effort d'anticipation sur des blocages qui pourraient plonger l'Irak dans une guerre civile. Ce sont les Kurdes qui vivent dans trois provinces du nord de l'Irak qui avaient échappé en 1991 au contrôle du régime de Baghdad qui sont les plus ardents défenseurs du fédéralisme. Un représentant du grand ayatollah Ali Sistani, le plus influent des chefs religieux chiites en Irak, avait prôné la prudence en ce qui concerne les projets de régions autonomes dans le centre et le sud chiites. « Je ne suis ni contre ni avec le fédéralisme », avait déclaré cheikh Mohammed Hussein Al Omeidi, tout en recommandant de « bâtir toute éventuelle région autonome sur des bases scientifiques ». Il a dénoncé en même temps la préparation de projets de régions autonomes « derrière les coulisses et loin du peuple » en évoquant trois d'entre eux, le premier entre les provinces méridionales de Bassorah, Nassiriyah et Amara, l'autre entre Kerbala, Babylone et Wasset et le troisième entre Najaf, Diwaniyah et Samawa dans le centre-ouest. « Il faut informer le peuple sur la réalité de ces projets et il ne faut pas les bâtir sur une base partisane », avait-il averti. « Pourquoi irons-nous à diviser nos régions en sous-régions et pourquoi ne pas constituer une seule région du centre et du sud de l'Irak qui ont l'avantage d'avoir une même structure sociale et la même confession ? », s'est-il interrogé. Plus clairement, comment concilier des courses parallèles pour le pouvoir, avec au bout très vraisemblablement l'hégémonie d'un groupe sur tous les autres. L'Irak en a malheureusement l'expérience. La création de régions ethniquement homogènes contournerait tous les différends. N'y a-t-il pas d'autres raisons ?