Plus de 100 000 morts, depuis le début de la deuxième guerre en Irak, et 7 milliards de dollars de dégâts matériels pour la seule année 2004. L'opération, qui visait à libérer l'Irak du joug du dictateur Saddam Husseïn, le motif avancé par George W. Bush, a plongé le pays dans le chaos, en proie à une violence impitoyable. Le processus démocratique amorcé le 30 janvier 2004, avec l'organisation des premières élections libres depuis près d'un demi-siècle, n'a pas éclipsé toutes les appréhensions. Au contraire, il fait craindre une aggravation des clivages entre chiites, sunnites et Kurdes. Installés durablement en Irak, selon toute vraisemblance, les Etats-Unis passent déjà à de nouveaux adversaires, l'Iran et la Syrie, faisant craindre ainsi une déstabilisation de toute la région. Dans cet entretien, l'ambassadeur d'Irak en Algérie, Ziyad Khakid, tente de répondre à ces interrogations. Se voulant rassurant, il soutient que l'Irak ne servira plus de base pour des frappes contre des pays voisins. Il a en revanche jugé « intolérable » l'ingérence de n'importe quel pays dans les affaires irakiennes. Des voix, notamment celle du Comité des oulémas sunnites, ont remis en cause la légitimité des élections irakiennes en raison de leur déroulement sous occupation étrangère et en raison de l'absence de débat et de campagne électorale, les électeurs ayant voté pour des personnalités pratiquement inconnues. Quel est votre commentaire à ce sujet ? Le vote s'est déroulé de manière honnête, légitime et réglementaire, sans l'intervention d'aucune partie étrangère. Si certains focalisent toutefois sur ces aspects pour remettre en cause la légitimité de ces élections, c'est parce qu'ils n'y ont pas pris part. Les élections ont été ouvertes à tous, sans exclusion aucune. Celui qui n'a pas participé a agi suivant une décision personnelle. Aujourd'hui, le plus important, c'est la participation de toutes les parties au dialogue pour parvenir à l'élaboration d'une Constitution. Ce dialogue vise à unir les Irakiens, d'autant que tout le monde est favorable à cette orientation, qu'il ait participé aux élections ou non. Même ceux qui espèrent réaliser le meilleur score lors de ce scrutin insistent pour dire que l'Irak appartient à tous les Irakiens et non pas à telle ou telle force. Cela est très positif. Les Irakiens souhaitent l'élaboration d'une Constitution représentative et consensuelle. Ceux qui n'ont pas participé aux élections auront donc leur mot à dire s'agissant de la Constitution ? Son élaboration devra revenir à l'Assemblée élue, avec la participation de toutes les parties. Le texte sera ensuite soumis à un référendum. Il y a des divergences, certes, mais nous ne divergeons pas sur notre « irakianité ». Nous ne devons pas utiliser le langage de la violence, la démocratie nous impose le dialogue et le passage par les urnes comme moyen civilisationnel. Vous parlez d'un consensus irakien, ces élections se sont pourtant déroulées sur fond communautariste et ont montré une fracture dans la société... Il n'y a pas de fracture. Il ne faut pas oublier que l'Irak vit ses premières élections libres depuis 1953, soit depuis près d'un demi-siècle. Depuis la chute du régime monarchique en 1958 jusqu'à aujourd'hui, les élections irakiennes étaient réputées pour leurs scores. Le président de l'ancien régime a obtenu, à l'issue du dernier rendez-vous électoral, 100% des voix. Sans commentaire ! Donc, c'est la première fois que nous assistons à des élections libres. Des divergences existent effectivement, mais elles ne s'expriment pas dans un cadre communautariste. Même si nous prenons en compte ce paramètre - le communautarisme - force est de constater que beaucoup de nos frères sunnites ont participé au vote et inversement pour nos frères chiites. La participation de nos frères kurdes s'est déroulée suivant des avis individuels et non pas suivant une considération communautariste. C'est cela la démocratie. Ce qui est important, c'est qu'il n'existe aucune politique de ségrégation de la part de l'actuel gouvernement, il n'y en aura aucune du futur gouvernement non plus. Le principe poursuivi est l'égalité de tous devant la loi, qu'il s'agisse de droits ou d'obligations. A travers leur participation, les électeurs ont également visé la restitution de leur souveraineté pleine et entière. Comment le nouveau gouvernement irakien parviendra-t-il à mettre un terme à la présence des forces d'occupation ? En ce qui concerne les forces multinationales, je tiens à souligner qu'elles ne se sont pas ingérées dans les opérations de vote, tout le monde est d'accord sur cette question, même ceux qui les ont boycottées. Vous ne trouverez personne pour dire que ces forces sont intervenues ou qu'elles ont imposé une quelconque consigne au profit de telle ou telle partie. Les opérations de vote ont été contrôlées par des observateurs internationaux et par les journalistes. Les bureaux de vote ont également été placés sous contrôle de la police et des forces de sécurité irakiennes. Quant à la présence des forces multinationales, la question sera soumise au débat par le nouveau gouvernement lorsque les conditions d'une sécurité, tant interne qu'externe, seront rétablies. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne acceptent ce principe. Maintenant, leur demander de se retirer sans qu'il y ait au préalable une garantie de sécurité, alors que les interventions étrangères se poursuivent, cela ne me paraît pas la meilleure solution. L'armée irakienne commence à se reconstituer et les services de l'ordre à mieux s'organiser. Le ministre irakien de l'Intérieur a déclaré, il y a moins d'une semaine, qu'un accord de retrait pourrait être obtenu dans 18 mois. Un retrait immédiat pourrait faire de l'Irak une proie facile, d'autant que beaucoup veulent le transformer en un théâtre pour des opérations militaires. Nombre d'observateurs craignent, au contraire, que ce soit cette présence militaire étrangère elle-même, dirigée par les Américains, qui restera à l'origine de la violence, d'autant que George Bush a éclipsé la question de l'échéancier pour un retrait lors de son dernier discours... Je ne pense pas que cette présence durera longtemps, car il faudra bien passer à la reconstruction de l'Irak, il faudra bien que la vie reprenne normalement, d'autant que rien ne justifie les attentats. Chaque partie a le droit d'exposer son point de vue, cela doit toutefois se faire à travers le dialogue et non pas à travers les attentats irresponsables à l'explosif qui ciblent, en premier lieu, les civils irakiens. 98%, voire plus, des victimes de la violence sont des civils ou des policiers irakiens. Alors que la première des choses enseignées aux services de sécurité, c'est le respect de la dignité et des droits du citoyen irakien. Les attaques contre ces gens ne peuvent se justifier ni humainement, ni religieusement, ni légalement, parce qu'ils participent à la sécurité du pays. Je ne pense pas que les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne puissent refuser la demande de retrait de leurs troupes lorsque la situation le permettra. Mais, actuellement, nous avons besoin d'eux, car nous continuons à faire face à des interventions étrangères. Sans eux, la situation pourrait devenir anarchique, voire déboucher sur une guerre civile, à cause de certaines parties ennemies qui continuent de nous nuire, parce qu'elles estiment que la prochaine étape se fera à leurs dépens. Alors, elles veulent que l'Irak serve de théâtre à leur bataille contre les Etats-Unis ou contre une partie irakienne. Vous parlez d'interventions étrangères, de parties ennemies... A qui faites-vous allusion ? Il y a eu de nombreuses déclarations à ce sujet, je ne souhaiterais pas réitérer les noms, des noms révélés par les médias et par des responsables. Nous souhaitons la normalisation de nos relations avec tous les pays, précisément avec les pays voisins. Nous sommes partisans d'une logique d'apaisement et non de conflit. Alors nous souhaiterions que les autres Etats comprennent notre situation et veillent à contribuer à notre sécurité et à la reconstruction de notre pays, au lieu de recourir à des méthodes qui portent préjudice à nos concitoyens. Des pays voisins, particulièrement l'Iran et la Syrie, appréhendent, de leur côté, que l'Irak ne serve de base aux Etats-Unis pour diriger des frappes contre eux, d'autant que le dernier discours de George Bush ne prête pas à l'optimisme. Que répondez-vous à cela ? Des déclarations émanant de responsables irakiens ont rassuré les pays voisins que l'Irak ne servira pas de lieu de passage ni de base pour une attaque contre eux. Cela si nous prenons en considération l'hypothèse d'une attaque, car cette éventualité n'est pour le moment pas à l'ordre du jour. Par ailleurs, il est tout aussi inacceptable que l'Irak se transforme en théâtre de combats pour quelque partie que ce soit. Celui qui a un différend avec les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou avec n'importe quel autre pays, qu'il le résolve à travers un dialogue direct. Le renforcement des chiites en Irak, notamment à l'issue des premiers résultats du scrutin, ne va-t-il pas consolider l'axe Baghdad-Téhéran ? La situation n'évoluera pas dans ce sens. Toutes les forces politiques, toutes les forces influentes, de même que leurs dirigeants, ont assuré qu'un régime semblable à celui de l'Iran ne sera pas instauré en Irak. Ils ont assuré que les Irakiens, avec la participation de toutes les forces politiques, choisiront eux-mêmes la nature de leur régime. Ils ne s'inspireront ni copieront aucun système politique, qu'il soit voisin ou pas. Une telle insistance a même émané de toutes les forces que certains considèrent qu'elles ont des relations étroites avec l'Iran. Est-ce que vous confirmez le chiffre de plus de 100 000 morts irakiens ? Oui. Mais où sont perpétrés les attentats ? Ils surviennent dans les arrêts de bus, dans des régions à forte concentration humaine, des régions pauvres, afin de commettre des carnages. La victime, c'est le peuple. Il y a environ une semaine, un hôpital a été ciblé par une voiture piégée. Les auteurs de ces attentats ne représentent pas la population irakienne, qui les a rejetés. Parmi eux, il y a des étrangers qui ne parlent pas le dialecte local et des Irakiens au passé noir, des criminels qui devraient être jugés. Ce qu'ils recherchent, c'est le coup médiatique, car la vie reprend normalement en Irak. Les pertes matérielles sont, quant à elles, énormes, elles ont été estimées par certains à 7 milliards de dollars pour la seule année 2004. Il ne se passe pas un jour sans que les installations électriques soient visées par des actes de sabotage. L'arrêt de ces installations et des installations pétrolières entraînerait l'arrêt de tout le pays.