La violence s'intensifie en Irak et son spectre s'élargit dangereusement avec cette fois de nouvelles cibles qui pourraient à elles seules indiquer avec plus ou moins de précision la direction que prend ce pays. Celui d'une guerre civile contre laquelle de nombreuses parties, y compris Lakhdar Brahimi, alors émissaire de l'ONU, avaient mis en garde dès le début de cette année. Hier en effet, deux dignitaires religieux sunnites ont été assassinés. L'un et l'autre étaient membre du conseil des oulémas, la plus haute autorité sunnite qui s'était prononcée contre l'enlèvement des étrangers. C'est le point majeur d'une journée devenue ordinaire avec une banalisation de la violence. D'ailleurs, le Premier ministre irakien, Iyad Allaoui, vient d'affirmer qu'il a échappé à quatre tentatives d'assassinat depuis qu'il a reçu le pouvoir des Américains, le 28 juin dernier, dont la dernière le 14 septembre. « La quatrième tentative a eu lieu il y a cinq jours (mardi) à l'extérieur de la zone verte », un secteur ultrasécurisé où se trouvent l'ambassade des Etats-Unis et le siège du gouvernement irakien à Baghdad, a-t-il précisé. Ce qui n'a jamais été rapporté auparavant, mais cela prouve dans le même temps que plus aucune zone n'est sécurisée comme le prouvent au demeurant les enlèvements d'étrangers opérés en plein jour et en plein centre de la capitale irakienne supposée être quadrillée par les forces américaines. Offensive conjointe Plus personne ne semble en mesure d'apporter une réponse militaire ou politique à une telle situation. Toutefois, apprend-on, les planificateurs militaires estiment que le mois de décembre serait propice à une offensive conjointe américano-irakienne pour reconquérir la ville de Falloujah avant les élections générales prévues pour janvier 2005. C'est au mois de décembre que les forces irakiennes seraient prêtes, selon ces planificateurs, à participer pleinement à une opération destinée à reprendre le contrôle de Falloujah, à 50 km à l'ouest de Baghdad, considérée comme le lieu où se préparent les attentats sanglants à travers l'Irak, une version comme les autres puisque la violence en question touche pratiquement toutes les localités irakiennes, y compris celles qui sont supposées être étroitement surveillées comme les villes du Kurdistan qui échappent depuis 1992 au contrôle de l'autorité centrale. Les plans existent pour une telle opération. Ils ont été élaborés par le gouvernement intérimaire irakien et le général américain George Casey, chef de la force multinationale en Irak. L'idée serait de lancer une opération conjointe pour reprendre en main non seulement Falloujah, mais aussi Ramadi (100 km à l'ouest de Baghdad) et Samarra (120 km au nord de la capitale), connues pour être des bastions de la résistance. La date butoir est les élections de janvier présentées comme la première consultation libre en Irak depuis un demi-siècle, même si le risque qu'elles ne se tiennent pas est quant à lui grand. En dépit des affirmations officielles, la tenue du scrutin reste, en effet, incertaine en raison des violences et des évaluations pessimistes d'acteurs de la scène internationale comme le secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan. Rien n'indique toutefois que ce soit là la solution miracle ou idoine, tant il est vrai qu'il ne s'agit pas d'une guerre conventionnelle, et d'ailleurs l'armée américaine subit cette situation dans laquelle elle devient la cible. Reste qu'en décembre, quelque 7200 hommes de neuf bataillons d'élite irakiens seront prêts, dont trois seront opérationnels sans soutien américain. Il a été tenu compte dans leur entraînement de l'échec de l'offensive d'avril dernier à Falloujah qui avait vu de nombreuses défections dans les rangs des forces irakiennes engagées dans l'opération. A la même date, les effectifs de l'armée irakienne devraient avoir doublé et être passés à quelque 13 000 hommes avec plusieurs bataillons spécialisés dans la lutte antiguérilla. Sur le papier, cela fait une force redoutable, comme celle que les Etats-Unis avaient engagée dans la conquête de l'Irak en mars 2003. Celle-ci est en train de faire face à la pire situation depuis la guerre du Vietnam.