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La loi sur les hydrocarbures : un débat biaisé
Publié dans El Watan le 06 - 03 - 2006

En vertu de sa place, centrale dans l'économie nationale(1), et de la polarisation économique qu'il exerce, le secteur des hydrocarbures occulte le débat sur le développement national.
En effet, nous voyons aujourd'hui s'exprimer publiquement, seulement deux approches, de prime abord contradictoires, mais qui aboutissent au même résultat : un discours de sourds et un statu quo (trompeur) dangereux pour l'avenir de la nation(2). Voyons maintenant, ces deux approches : La première consiste en la poursuite de la politique au départ, nationaliste, menée depuis 1971 de récupération des richesses nationales. La constitution d'un secteur énergétique national quasi-monopolistique. Ce monopole a donné naissance à une technobureaucratie énergétique de plus en plus puissante, alliée l'autocratie au pouvoir et que soutient une aristocratie ouvrière (les agents et fonctionnaires du secteur dont les salaires sont plus élevés que ceux des autres secteurs économiques avec, en prime, une très forte stabilité dans l'emploi) qui impose sa vision, favorable d'abord à ses propres intérêts. La poursuite de cette politique permet toutefois d'avoir l'illusion d'être maître chez soi. Elle oublie l'addiction de l'économie nationale aux exportations des hydrocarbures pour faire fonctionner un semblant d'Etat. Ce dernier, ou plutôt l'autocratie qui est derrière, trouve son compte, puisque les recettes issues des exportations peuvent acheter une paix sociale, son enrichissement et celui du clan, constitué par les féodalités et la technobureaucratie qui lui sont liées. Elle a besoin également de plaire aux « maîtres du monde » en acceptant les propositions contenues dans le « consensus de Washington » entre autres : le démantèlement du secteur public incompatible avec l'économie de marché (?)(3) l'abandon par l'Etat de son rôle d'entrepreneur et de maître de l'ouvrage (celui de produire le développement et la modernité) et la mise aux oubliettes de la distinction entre secteurs économiques stratégiques et secteurs non-stratégiques et, enfin, la non-discrimination entre le capital national et celui étranger dans l'investissement. La maladie hollandaise(4) qui frappe notre pays depuis 1973, dont les symptômes se font sentir depuis les années 1980 (Printemps berbère, Octobre 1988), qui ont culminé avec la décennie rouge et qui se poursuivent aujourd'hui par des « jacqueries locales », n'a pas été soignée. La notion de régime rentier désigne une économie sous-développée dont le développement est financé par la rente, pour nous la rente pétrolière. L'économie nationale a une addiction forte au pétrole et sa santé dépend de l'évolution de son prix qui échappe de plus en plus au contrôle de l'Opep. Le comportement de rentier de l'Etat fait que tout retournement de tendance enfoncera le pays soit dans une nouvelle crise, soit vers un comportement « de nouveaux riches » avec une prédilection pour des dépenses ostentatoires, dans tous les cas improductives. La seconde approche, qui prône l'ouverture du secteur (amont et aval) au capital pétrolier international, est voulue par une frange de la technobureaucratie énergétique en collusion avec, d'une part, le cartel pétrolier international et, d'autre part, avec une partie des Algériens très enrichis, qui ambitionnent - en leur supprimant le levier de leur survie : la rente pétrolière - renverser et prendre le pouvoir à ceux de la « famille révolutionnaire » qui veulent, même à travers leur progéniture, perpétuer leur domination sur la vie politique du pays. Cette coalition profite de la mondialisation économique, du soutien du capital international (celui des Etats-Unis particulièrement) et des organisations multilatérales (FMI, Banque mondiale, OMC, etc. inféodées également aux Etats-Unis) pour présenter l'ouverture de l'amont pétrolier, surtout, comme une nécessité vitale pour le pays au double plan national et international et que le nationalisme économique a quelque chose de désuet(5). Au plan national, il s'agit de profiter de la phase ascendante des prix pétroliers pour découvrir et vendre le plus de pétrole et de gaz possible. En d'autres termes, exhumer le plan Valhyd, en présentant deux faits inattaquables : 1- le fait que le pays soit peu foré et que les capitaux et technologie du capital pétrolier international sont incontournables ; 2- les découvertes intéressantes, réalisées par ou avec l'aide des firmes pétrolières internationales. Au plan international : l'ouverture satisfait la volonté impériale des Etats-Unis et de ses multinationales du pétrole « les five-sisters » de dominer une ressource, qui faute d'alternative technologique, a encore de beaux jours devant elle. Devant, l'arrivée prévue pour 2015-2020 du « pic pétrolier(6) », et de la nécessité de s'assurer des approvisionnements, toutes possibilités de contrôle (même par la violence) de la ressource pétrolière est envisagée. Comme cela est souvent le cas, les autres grands pays consommateurs, ne veulent pas être en reste, accourent pour signer des contrats d'exploration et veulent prendre des parts dans le capital de Sonatrach, si celui-ci venait à être ouvert. Vous remarquerez que ces deux approches négligent la question principale du développement national et restent dans un régime d'accumulation rentier. En effet, la question centrale qui doit être posée est celle de la stratégie de développement qui doit mobiliser, en harmonie, toutes les ressources matérielles et immatérielles du pays. Cette stratégie ne peut être confondue avec un quelconque programme de Président de la République, dont le but électoraliste est en soi, évident, ni à une politique pétrolière qui doit être au service du développement économique du pays. Une stratégie nationale de développement nous amène à réfléchir d'abord sur celles, réussies, (en d'autres temps) par des pays comme le Japon, la Corée du Sud, Taiwan, la Chine aujourd'hui... et surtout à celle, synonyme d'échec, qui fut la nôtre durant les années 1967-1985. Depuis cette période jusqu'à aujourd'hui, ce ne fut qu'une « descente aux enfers » construite de manière scientifique par quelques « apprentis sorciers nationaux » connus, aidés par des « think tanks américaines » et autres centres d'intérêts opposés à l'idée qu'un pays (ex-colonisé, arabe, c'est important à souligner !), disposant de ressources humaines et matérielles, puisse, comme les nouveaux pays industriels (Corée du Sud, Taiwan, Chine...) devenir un partenaire, pour ne pas dire un concurrent. Avec quelques « constantes nationales, une école fondamentale, authentique, une spécificité nationale dans tous les domaines », non seulement l'économie nationale fut ruinée mais également l'âme de ce pays, ce qui rend tout redressement hypothétique(7). Nous pourrons, si les prix du pétrole ne sombrent pas, maintenir la situation économique actuelle, c'est-à-dire la pérennisation d'une « économie de bazar », mais toujours au prix d'une faillite sociale aggravée. Le paysage économique mondial montre qu'aucun pays pétrolier n'a pu accéder au développement. Le classement effectué par le PNUD(8) concernant le développement humain montre clairement la mauvaise situation des pays pétroliers (le nôtre est à la 108e place) et l'histoire économique récente nous renseigne sur les crises engendrées par la polarisation économique liée aux hydrocarbures. Enfin, le dernier rapport (2005) sur le développement de la Banque mondiale nous cite parmi les pays les plus corrompus au monde avec le Cambodge et le Nicaragua(9). Le plus gros handicap à toute politique de modernisation sociale est la relative déliquescence de l'Etat qui ne s'est guère montré capable de définir une stratégie de développement économique et sociale propre, en étudiant notamment quelles industries et quels secteurs sociaux devraient être privilégiés et quel rôle de régulation, il devrait jouer par rapport au marché, à cause des clans en général et à celui de la technobureaucratie en particulier(10). L'autocratie et son absence de vision de l'avenir ont fourvoyé un projet social porté par un secteur public, dont la particularité est d'être obtenu en héritage de la colonisation(11) et surtout créé un phénomène d'addiction au pétrole. L'échec de l'industrialisation de l'Algérie est le fait du comportement immature de sa classe de dirigeants qui fait dépendre la vie des Algériens des recettes liées aux exportations d'hydrocarbures. En conclusion, aujourd'hui comme hier, nous vivons surtout, une crise de comportements et non une crise de moyens. Ce n'est donc pas une augmentation des recettes en dollars, ni une séparation des prérogatives de Sonatrach et celle de l'Etat, encore moins le retour à la concession qui sont nécessaires pour engendrer la croissance, mais une adaptation des compétences, dans tous les rouages de la vie économique et sociale(12). La géo-économie, concept nouveau de la guerre économique, a pour armes les investissements productifs dans des secteurs porteurs(13), une école (du primaire à l'université) digne de ce nom, la recherche et l'innovation, subventionnées par l'Etat et la pénétration des marchés des autres tout en protégeant, au mieux possible, le sien(14). Aussi sur le terrain des affrontements, l'action géo-économique doit s'appuyer sur des industriels nationaux éclairés, patriotes et ambitieux et une administration économique patriote, intègre et efficace. Cette action ne peut être menée si l'essentiel des efforts est mobilisé, d'une part, par un secteur d'exportation de biens primaires (les hydrocarbures) et, d'autre part, par l'activité commerciale (importations et ventes des biens de consommation), où les marges sont plus confortables que celles de la production (réalisation d'usines et création d'emplois).
Notes de renvoi :
1) Le secteur des hydrocarbures contribue à la hauteur de 40 % au Produit intérieur brut (PIB), 60% du budget de l'Etat et plus de 97% aux recettes d'exportation.
2) L'Algérie, depuis l'indépendance, a toujours une ébauche de politique pétrolière internationale, comme membre de l'OPEP, mais jamais une politique énergétique nationale (voir sur ce point notre ouvrage collectif sous la direction de S. Khennas Politique énergétique et production d'électricité CREA Alger-1981). D'ailleurs, le plan à moyen terme 2004-2008 de développement de l'activité amont présenté par Sonatrach, Amont, (ENC 02/2004) en voie de réalisation, fait augmenter régulièrement la part des étrangers dans la production nationale d'hydrocarbures. En 2008, en effet la part réalisée en association devrait atteindre 54% pour le pétrole, 50% pour le condensât et 38% pour les GPL. Avec ou sans l'accord des travailleurs, de l'UGTA, la loi se réalise dans les faits.
3) Dans les années 1980, 30% du PIB français étaient réalisés par le secteur étatique.
4) Le syndrome hollandais ou Dutch disease est la correspondance du développement « polarisé » du secteur exportateur d'hydrocarbures avec une phase de dépenses de consommation et d'investissement élevées et un taux de change réel qui ne joue pas son rôle régulateur. Le secteur exportateur, c'est-à-dire « le secteur pétrolier dans le cas de l'Algérie », sera dominant engendrant à la fois une industrialisation incohérente, une agriculture sacrifiée, un fort développement du secteur des services, une administration incompétente, pléthorique et inefficace, des transferts de revenus inadéquats engendrant de l'inflation et de la corruption.
5) L'OPA hostile de Mittal sur Arcelor, la tentative d'achat des ports américains par une entreprise koweitienne a montré, par la réaction quasi-raciste des responsables des pays développés, que le nationalisme économique est bien pour eux et pas pour nous. En d'autres termes, l'histoire du curé qui se répète.
6) Voir le site de l'Association for Study of Peak Oil (ASPO.com)
7) Voir à ce sujet
a) Boudjenah Yasmine Algérie, décomposition d'une industrie. La restructuration des entreprises publiques (1980-2000). L'Etat en question. Ed. L'Harmattan 2002. Paris.
b) Boudersa Maâmar La ruine de l'économie algérienne sous Chadli. Ed. Rahma Alger-1993.
8) De petits pays arabes, sans pétrole, comme la Jordanie ou notre voisine la Tunisie, sont beaucoup mieux placés que nous respectivement aux 89e et 90e places.
9) Le prix de la corruption représente en moyenne 6% du chiffre d'affaires des entreprises en Algérie, au Cambodge et au Nicaragua. Source Rapport sur le développement dans le monde 2005 Washington, 28 septembre 2004. http://siteresources.worldbank.org/NEWS/PressRelease/20262497/pr09282004-fr.doc
10) Cette situation découle de l'échec des responsables qui depuis l'indépendance n'ont été à la hauteur de leur unique mission, celle de créer une nation prospère et où tous ses enfants pouvaient vivre dignement. Déjà la déclaration des droits de l'homme de 1789 posait une problématique claire : « Toute société, dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution. » Une justice intègre et compétente et une séparation des pouvoirs sont les deux piliers du développement économique parce qu'ils réduisent les coûts induits par l'opportunisme des administrations de contrôle. Elles sont le vivier où naissent et se développent les catégories sociales essentielles au développement du pays, les élites savantes et les capitaines d'industries. Des richesses nationales, comme les matières premières, l'énergie..., seront alors un plus, rendant la politique de développement moins contraignante sur les couches sociales les plus fragilisées. Enfin, la modernisation sociale passe par l'application d'un rationalisme désintégrant les visions religieuses du monde. Voir notre article : « La technobureaucratie ou l'échec du développement national ». Quotidien d'Oran du samedi 10 et 17 mars 2001.
11) Le secteur public « à la française » celle du « colbertisme high-tech » d'Elie Cohen (1997), fondé sur la promotion de « l'intérêt général » comme moteur de l'action étatique. En Algérie, est souvent confondue la notion de « service public » et de secteur public. Cette confusion a des conséquences désastreuses sur l'avenir des entreprises publiques aussi bien celles qui produisent des biens collectifs marchands (eau, électricité, gaz, transport, etc.) et celles qui ne produisent que des biens marchands. Pour ce qui est des biens collectifs non-marchands tels que la santé, l'éducation, la sécurité... et les biens collectifs marchands tels que l'électricité, le gaz, l'eau, le transport..., il y a lieu de rappeler les déboires que rencontrent les secteurs dérégulés en Angleterre, aux Etats-Unis et ailleurs dans certains pays sous-développés (Argentine, Brésil etc.). Concernant l'électricité, la dérégulation n'a pas été la « potion magique » rendant le système de production et de distribution anglais compétitif, fiable, et se traduisant pour le consommateur par une réduction dans le niveau de sa facture. La privatisation du rail anglais le fait ressembler aujourd'hui à celui qui circule dans les pays sous-développés. Aux Etats-Unis, la dérégulation de l'énergie dans les années 1990 a produit deux grandes catastrophes :
a) Le black-out de la Californie, où un Etat tout entier a été privé d'électricité pendant des semaines ;
b) La faillite du courtier en énergie Enron, qui a réduit au chômage des milliers de personnes et ruiné des dizaines de milliers d'épargnants, souvent des retraités. Enron qui en Inde est complice de violations de droits humains contre les manifestants opposés à sa centrale de Dahbol.
12) Ce qui est donc important pour engendrer la croissance, ce n'est ni un accroissement des exportations d'hydrocarbures par « la magie d'un projet foireux et dangereux pour l'avenir du pays » (la loi sur les hydrocarbures), ni un appel à l'investissement direct étranger (qui possède aujourd'hui des espaces de valorisation infinis où l'Algérie ne figure pas ou si peu), mais d'éviter la poursuite du comportement de prédation (de l'autocratie et de la technobureaucratie) construit par la rente pétrolière, qui depuis l'Indépendance, nuit au pays et réduit l'efficacité économique, nécessaire à toute avancée sociale. La rente pétrolière en rendant le pouvoir indépendant de la société et en faisant perdre le sens de la rentabilité des investissements, s'est montrée plus destructrice que constructive. La crise que vit l'Algérie dans la douleur, a commencé en 1981 avec la baisse de la productivité du travail, elle a explosé en 1988 et continue depuis à la suite des effets de l'ajustement structurel né des contre-chocs pétroliers. Les incertitudes liées à la rente pétrolière, suite à l'absence du contrôle des prix par les pays producteurs, rendent les dirigeants des pays pétroliers plus autoritaires, parce que s'entourant d'une aristocratie dirigeante formée des serviteurs du régime et le groupe des notables dont les activités sont centrées autour de sa captation.
13) Un pays est dit bien spécialisé, s'il est en mesure de développer une offre de produits dans des domaines d'activités où la demande interne et/ou mondiale croît le plus fortement. Les Etats-Unis ont concentré 36% de leurs investissements dans le domaine des TIC et seulement 13% dans l'industrie (Source : Revue de l'OFCE n°81). Une bonne spécialisation implique d'abord une intensité des efforts dans les secteurs où la nation dispose de points forts ou ceux où elle veut en obtenir. Dans le cas de l'Algérie, à cause de la régression généralisée, nous possédons peu de points forts hormis celui de disposer de ressources énergétiques exportables et une main-d'œuvre nombreuse, mal formée, indisciplinée mais bon marché. Aussi, il nous est difficile d'élaborer des pôles de compétitivité générateurs d'économies d'échelle. Cela explique, par ailleurs, l'immobilisme économique qui nous étreint, malgré la disponibilité de réserves de changes confortables. La concentration des efforts sous-entend aussi l'importance globale des moyens (financiers, technologiques, humains) qui sont mis en œuvre pour acquérir une compétence reconnue dans certains produits. Le corollaire est l'accroissement des taux de dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Le temps gaspillé nous enferme dans une logique de chaos.
14) Offrir environ deux milliards de dollars (les importations de véhicules automobiles en 2005) aux producteurs internationaux de voitures et à nos concessionnaires sans contrepartie dans le domaine de l'intégration économique n'est pas chose aisée à comprendre, sauf si....


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