En optant pour la projection en ouverture, de Tahya ya Didou (1971), le film poème de Mohamed Zinet, les organisateurs des Rencontres cinématographiques de Béjaïa ont réussi le pari de mettre en présence, dès le départ, des éléments d'un débat sérieux sur le cinéma algérien. Le film réalisé en 1971 a sa propre histoire. Celle de la lutte acharnée d'un cinéaste inconnu alors, contre les tentations de récupération, et souvent carrément d'immixtion directe dans son œuvre par les tenants du pouvoir politique. L'époque et ses constituants sont certes révolus, du moins dans beaucoup de leurs aspects, mais la problématique de fond reste posée. Celle de la relation du cinéaste avec la société et de ses rapports avec les groupes de pression. Mais au-delà de l'environnement qui a vu naître l'œuvre, et de son making off chaotique, rapporté en bribes par Pierre Clément, chef opérateur qui a travaillé sur le film et qui a bien connu le réalisateur, le long métrage revu par certains avec un égal plaisir, découvert par d'autres, reste une série de giclures gaies et colorés happant l'Alger de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Le film est rieur, investissant presque tout sur la dérision, et donne à contempler les instantanées de vie d'un pays fraîchement affranchi de l'occupation et se laissant aller à la griserie de la victoire et des lendemains annoncés comme meilleurs. Point de scénario dans Tahya ya Didou, du moins selon l'acception usité dans le milieu, sauf, peut-être, cette idée-artefact insérée en synopsis et qui noue un semblant de trame autour de la rencontre d'un tortionnaire français, revenu dans le pays en touriste, et un Algérien qui a eu à subir la torture de ses mains. Dérision et poésie Parce que le film se répand en images à l'esthétisme prononcé, de cette Alger blanche et tolérante, bonne vivante et où l'atmosphère est bon enfant, au propre et au figuré, est-on tenté de dire, dans la mesure où la part belle est donnée aux minois des enfants justement, et à leur jeux bruyants et ingénus. Himoud Brahimi, le grand Momo, en ascète exubérant, au verbe haut, ne jure que par sa « vieille Casbah », cœur battant d'Alger. Personnage un peu en dehors du temps, dont la poésie irrigue les ruelles de le vieille ville et achève de donner au film cette épaisseur lyrique que soutient par ailleurs le travail sur l'image. Voulu au départ comme une œuvre de « propagande », le film ne cède finalement que peu à l'injonction du producteur (l'APC d'Alger selon le générique). Beaucoup moins en tout cas que le laisse penser une certaine approche. Par un travail subtil sur la symbolique, le réalisateur a fait en sorte que la glorification béate recherchée par les bailleurs soit contrecarrée et neutralisée. A la forte présence de militaires en tenue, qu'ils soient ces djounoud du stade réquisitionnés pour l'une de ces nombreuses fêtes que le calendrier national avait à l'époque déjà retenu sans parcimonie, ou ces fanfares sympathiques et dégageant bonhomie, répondent des plans de rues animées, où l'on voit souvent des gens fuir la caméra comme dans un documentaire. Mais surtout ces scènes composées, dont la meilleure reste celle du bus Algérie à la fin du film. Le car qui traverse la nuit, avec comme passagers tous les personnages du film, et qui prend la direction du Feth, la voie du bonheur, puis qui refait le chemin inverse pour reprendre la voie du Ced, celle de l'échec. « Zinet a souffert » C'est un témoignage un peu hésitant qu'a fait Pierre Clément sur les conditions qui ont vu naître Tahya ya Didou. L'homme, chef opérateur, a longuement côtoyé Zinet et semble très marqué par le sort du réalisateur. Une phrase qui revient tout le temps dans la bouche du technicien : « Préserver absolument l'œuvre de Zinet. Un homme qui a été mal compris et mal considéré dans son pays. » L'on apprendra ainsi que des mains se sont permises d'ajouter des plans au film, ce qui s'est traduit plus tard par l'existence de versions différentes de l'œuvre. Un film torturé en quelque sorte, mais qui, apprécié par le regard d'aujourd'hui, s'impose plus que jamais comme un témoignage complet sur une époque, aussi bien dans son histoire tourmentée, sa forme et son contenu.