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Monde arabe : démocratisation ou disparition !
Publié dans El Watan le 10 - 08 - 2004

Les Moubarak sont, il faut le dire, de véritables anges comparés aux Kadhafi. Le guide de la révolution a lâché ses rejetons afin de puiser directement dans le Trésor public.
A coups de milliards, ces fils à papa vivent selon leurs fantaisies. Sayf El Islam joue le gentleman international des travaux caritatifs, interférant partout dans le monde. On l'a vu payant d'énormes rançons dans le problème de prise d'otages occidentaux aux Philippines ; s'occupant des frais de libération d'une partie des prisonniers marocains chez les Sahraouis du Polisario ; aidant les femmes et les enfants nécessiteux délaissés après la chute des talibans en Afghanistan. Dernièrement, il a mené des pourparlers pour la régularisation des indemnisations financières des familles des victimes du Lockerbie. Saâd, l'autre petit guide, s'adonne à des activités plus juvéniles, il s'amuse et jongle avec l'argent du peuple dans le Calcio, en acquérant des actions dans la Juventus, la plus prestigieuse des équipes du football italien et en s'achetant presque toute une équipe, de moindre importance, pour avoir, ne serait-ce qu'un seul match, l'honneur de figurer parmi la liste des remplaçants et occuper une place sur le banc. Même dans ce poste, ce joueur singulier a été contrôlé positif lors des tests de dopage ! L'abus des interventions du fils gâté du colonel dans le championnat libyen et l'équipe nationale a atteint des dimensions insensées. Pauvre Libye ! Malgré ses ressources, elle ne peut ni évoluer ni avoir une vie normale. De Lockerbie à l'affaire des armes de destruction massive, le colonel fait subir à son pays ce que des pires ennemis ne daignent projeter. Ses projets, découverts récemment, visant l'assassinat du prince héritier saoudien sont une autre grave affaire à suivre. Qu'est-ce qu'il va offrir cette fois-ci pour que les Américains acceptent de clore le dossier ? Plus archaïque est sans doute la famille royale de l'Arabie Saoudite qui se permet, dans ce monde de démocratie et de liberté, de se targuer d'avoir laissé se constituer une squelettique association journalistique, dont tous les membres d'ailleurs sont fidèles aux fils de Abdelaziz, ou se vanter d'avoir accepté, finalement, d'offrir aux citoyens le soin d'élire leurs responsables locaux parmi des listes préparées par les princes. Quand ils entendent parler de démocratie, ils évoquent, presque avec fierté, leur fameux Conseil de choura, dont tous les membres sont désignés par le roi et les princes. Quelle honte, ils sont fiers d'avoir été les seuls, parmi les régimes arabes, à penser à envoyer un groupe de leurs soi-disant parlementaires à Londres, dans une des plus grandes campagnes médiatiques, pour étudier les mécanismes de fonctionnement du doyen des Parlements du monde alors que les citoyens saoudiens ne savent même pas, et jusqu'au jour d'aujourd'hui, ce que signifient vraiment libres élections, référendum, suffrages, scrutins, urnes et isoloirs. Peut-on duper l'opinion publique par ces mascarades qui ne traduisent que la péremption et l'archaïsme du système ? Fallait-il attendre une intervention américaine ou patienter des siècles entiers pour que la famille royale ait confiance en ces Saoudiens et leur permettre de jouir effectivement du statut de citoyen ? A aucun niveau, il ne leur est permis d'exprimer leur avis. C'est une grande erreur que de croire que le problème de la démocratie est une affaire qui se résout avec les Américains. Louer les services des plus prestigieuses agences de communications américaines pour reluire l'image du régime, voilà le premier souci des maîtres de Riyad qui donne une idée sur leur manière de penser et leur mépris incommensurable vis-à-vis de leurs sujets. Traiter l'image et l'embellir peuvent tromper les Occidentaux et gagner leur sympathie, mais jamais on ne peut convaincre un affamé et lui faire croire que s'il a mal au ventre, c'est parce qu'il a trop mangé. L'Arabie Saoudite ne peut résoudre ses problèmes internes par les paroles intelligentes et bien choisies du jeune conseiller de l'héritier du trône, Adel El Djoubaïr, aussi élégant, éloquent, compétent et english (ou américain) qu'il soit ! Les concessions sur le plan de l'OPEP ou la contribution dans la lutte antiterroriste (par l'établissement surtout d'un contrôle rigoureux de l'ensemble des activités caritatives des citoyens saoudiens) pourraient contenter la Maison-Blanche mais jamais apaiser la révolte de cette jeunesse saoudienne branchée et engagée si elle n'est pas enrôlée déjà dans des réseaux intégristes. Ces princes semblent prêts à employer et à exploiter même ce terrorisme sanguinaire pour arracher la bénédiction de l'Administration Bush et envoyer les réformes aux calendes grecques. C'est une politique qui ne peut annoncer pour le royaume qu'un lendemain plein de désastres et de catastrophes. En fait, les pouvoirs politiques arabes ne laissent aucune alternative pacifique à l'opposition. Aucune marge ne lui est laissée pour les concurrencer et proposer une autre vision de gestion des affaires de l'Etat. Acculée au mur, elle est obligée de recourir à d'autres méthodes moins conventionnelles. A voir le président mauritanien ordonnant d'arrêter son principal rival en pleine élection présidentielle craignant la défaite et ne pouvant même pas supporter l'ombre d'un risque de perdre son poste, on peut avoir facilement une idée très claire sur l'avenir explosif des Mauritaniens. Peut-on se leurrer et attendre des réformes de ce jeune monarque marocain, lui qui tient fermement aux plus abaissantes des traditions et rites et qui force ses sujets à se prosterner et à se précipiter gauchement pour lui baiser la main. On ne peut voir de si importants ministres, des grands dignitaires, des citoyens simples, des femmes et des garçonnets dans de telles positions humiliantes sans avoir mal au cœur. Suffit-il de retirer chaque fois, à moitié, sa main et de jouer à l'embarrassé et au gêné alors qu'il peut épargner son soi-disant peuple et lui éviter toute cette grande humiliation. Mais il tient, entre autres, à ce rite, telle une sorte de garde-fou garantissant la pérennité de sa dynastie. Toute concession est perçue comme le début du déclin d'un règne et d'une royauté corrompue, mal à l'aise et en complet déphasage avec son temps. L'émir du Qatar n'a pas, lui aussi, assez de présence d'esprit même s'il se veut, après avoir détrôné son père, libéral et moderniste. Il se permet de se qualifier d'avant-gardiste, simplement parce qu'il a été derrière le lancement de la chaîne d'El Djazira TV. Quel respect prétend-il porter à son peuple, unique source supposée de souveraineté, s'il se permet de promulguer un aussi important texte législatif que la Constitution sans même penser à passer par la voie d'une consultation populaire ?
sens de la démesure
Cet émirat, qui ne compte que quelque 800 000 citoyens, est porté dans les nuées par un sens de la démesure et de la gabegie. Par caprice, le prince héritier a donné des instructions pour construire le plus grand centre académique sportif dans le monde, ce que n'osent faire les pays les plus grands et de traditions sportives reconnues, comme la Chine, la Russie ou l'USA qui recensent plus de cinquante millions de sportifs inscrits. Le royaume du Bahreïn n'a pas lésiné en ce domaine du m'as-tu-vu en inaugurant à coups de milliards, son célèbre circuit de Formule 1. C'est une course folle de gaspillage et de dilapidation de l'argent public en des chapitres pour le moins saugrenus et fantaisistes et allant des terrains de golf, aux courts de tennis, aux hôtels de super luxe, etc. Le prince Jaber Al Ahmed Al Sabbah, le cheikh Zayed et le roi Fahd, depuis des années, n'apparaissent que rarement en public. Et pourtant, leur sagesse sera, sans aucun doute, regrettée vu la conduite peu reluisante et plus que préoccupante de leur progéniture héritière. Elle semble plus versée et habile pour découvrir et dénicher de nouveaux éventails de dissipation plus massive et ingénieuse de biens des peuples. Après avoir régné une cinquantaine d'années grâce à la légalité révolutionnaire pour les uns et religieuse pour les autres, les pouvoirs arabes se sont convertis et ils se précipitent, maintenant, pour se rencontrer sous le parapluie d'une autre légalité plus solide, à leurs yeux, parce que portant les couleurs de la bénédiction de la Maison-Blanche. Tous cherchent à plaire aux Américains. Les contenter et les satisfaire sont devenus, par excellence, l'objectif numéro un qui devance, de loin, tous les autres soucis de développement économique et de gestion des crises politiques. Ceux qui ont refusé d'assister au G8 ne sont pas en fait plus affranchis dans leurs actions que ceux qui ont répondu favorablement aux convocations de Bush (car on ne peut, tout de même, parler d'invitation !). Sur leur table, les grands du monde ont besoin, pour entretenir les sentiments de supériorité que leur procurent leurs dimensions, de petits exemplaires et assez disposés à écouter attentivement, jusqu'à la fin, leurs recommandations et remontrances. Bush veut montrer à ses électeurs qu'il sait ce qu'il fait, qu'il maîtrise la situation et que sa politique apporte, tôt ou tard, ses fruits. Un empire n'a pas d'ami, il n'a que que des vassaux, selon l'avis d'Ignacio Ramonet du monde diplomatique. Le Yémen, l'Algérie, la Jordanie et le Bahreïn ont joué le rôle d'imbécile à morigéner. En réalité, les dirigeants de ces pays ne sont pas loin, c'est leur naturel même qu'ils ont interprété. Ils ne l'ont jamais chassé pour qu'il revient au galop. Il serait idiot d'espérer accéder un jour à la démocratie avec cette qualité de dirigeants. Entre trois choix : la voix de la démocratie et du modernisme, le statu quo et les projets néo-impérialistes de la Maison-Blanche, ils n'opteront que pour ce qui assure leurs pouvoirs dictatoriaux. Que faire de ces réformes amorcées dernièrement par Moubarak et qui ne font en réalité que consacrer fermement l'autorité de Moubarak-fils et lui préparer le terrain pour succéder à son géniteur ? Que faire de ces élections présidentielles algériennes qui ne sont, en fait qu'un acte de réconciliation aux acquis démocratiques et une phase avancée de l'instauration d'une autorité constituée ? Peut-on se tromper et se fier aux officiels tunisiens, lorsqu'ils se vantent du modernisme de leur Etat et ne pas voir tout ce qu'endurent les hommes de l'opposition et de la presse indépendante, violés dans les prisons ou traqués et brutalisés par la police et la sécurité militaire ? Serait-on assez naïf pour s'emporter par l'enthousiasme panarabe à l'écoute des discours incendiaires du président yéménite propalestinien et contre Israël et ses amis alors qu'une carte verte a été délivrée par ses soins personnels aux équipes de la CIA pour travailler et abattre des citoyens yéménites dans leur patrie même ! Les Saoudiens qui croient qu'ils peuvent par quelques chaînes satellitaires blanchir leur image ne font en fait que donner une preuve de plus de leur entière inaptitude à l'évolution. Ce sont des systèmes cadavériques, politiquement en décomposition et pratiquement impossible à sauver. Leurs maladresses sont de plus en plus nombreuses, c'est la panique de la dernière heure ; ils ne font d'ailleurs que précipiter leur chute. S'ils semblent bien réussir à satisfaire les Américains et à les faire taire, le problème avec les peuples demeure insoluble ! Peut-on ramener quelqu'un à son lit et le convaincre de se rendormir, tout tenaillé par la faim et dans une ambiance volcanique de guerre. Inertes, jusque-là, mous et impuissants, les peuples arabes frayeront, tôt ou tard, leur chemin vers la liberté et la démocratie. Ni américains ni européens, les acquis arrachés seront authentiques, imprégnés de sang et de sueur. Manifestement, ce chemin émancipateur sera, inévitablement, sur les cadavres de la pléiade des dirigeants actuels ou de leurs descendances.


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