Le centre communal des arts sis au boulevard Rabah Bitat sera désormais le conservatoire Abdelmoumène Bentobbal. L'homme aux talents musicaux avérés durant des décennies a mené une vie discrète, sans tapage médiatique, bien qu'il fût promu à une carrière commerciale fulgurante. A l'occasion de la journée nationale de l'artiste, Abdelmoumène Bentobbal a reçu enfin les hommages posthumes, qu'il a tant attendus de son vivant, après son départ brusque dans la nuit du 10 juillet 2004 à l'âge de 76 ans. Dans les salles et les couloirs du conservatoire, l'artiste était bien là, dans les yeux de tous ses enfants et petits-enfants, mais aussi à travers sa seconde famille, celle d'El Bestandjia qu'il chérissait tant. Pour ses enfants Samira, l'aînée, et Abderraouf, celui qui fut toute sa vie le meilleur des pères et des confidents, par sa gentillesse, son affection et sa bravoure exemplaire, vivait l'art comme un « gharam » dans le sang et non comme une « sanaâ ». « C'était un artiste qui cherchait toujours la perfection. Il se corrigeait en écoutant inlassablement ses disques », nous dira sa fille. Au théâtre de Constantine, plein comme un œuf, la soirée consacrée pour la mémoire de Abdelmoumène Bentobbal avait tout d'une fête. Une fête authentique, à la sauce constantinoise, comme on n'en voit plus de nos jours. Tous ses amis et proches étaient là. Abdelmadjid Djezzar dit Bibi, son compagnon de toujours, est comme à son accoutumée calme et réservé. Cheikh Kaddour Darsouni, assis dans un coin de la première rangée, ne parle pas assez. Il cache mal sa tristesse. Une image revient, celle d'un Kaddour Darsouni terrassé par la douleur, devant la tombe de son ami, un certain 11 juillet 2004 au cimetière central. La salle du théâtre est déjà pleine. Les minutes passent, le public commence à s'impatienter. Les cheikhs Sid Ahmed Serri et Smaïn Hini, venus spécialement d'Alger, arrivent. Ils s'installent aux côtés de Mohamed Khaznadji. Ils seront rejoints par Hadj Mohamed Tahar Fergani, Rahmani et Dib El Ayachi. Le temps est pour les accolades. Les retrouvailles ont toujours été émouvantes lors des hommages posthumes. L'absent de marque n'était autre que le cheikh Abdelkader Toumi, l'un des derniers de la grande génération du malouf constantinois. L'homme âgé de 99 ans, et qui quitte rarement son domicile, a reçu les honneurs lors d'une visite de courtoisie. Après le docteur Hamdani Hamadi, un des membres fondateurs d'El Bestandjia en 1983, qui monte sur scène pour une brève allocution d'ouverture, la mission délicate d'évoquer Abdelmoumène Bentobbal fut confiée à Farouk Bellagha, un autre ami de l'artiste depuis quatre décennies. L'homme connu pour sa carrière d'illustre commentateur sportif et journaliste de la télévision et de la radio, avant de prendre les destinées du quotidien En Nasr puis de la télévision et de la radio locale, usera de son talent incomparable d'orateur pour décrire un artiste, dont le nom a été toujours lié à la ville qui a vu naître Ben Badis et Malek Haddad. « Celui qui a écouté un jour la voix douce de Bentobbal appréciera le malouf pour l'éternité. A l'image de son fameux khlass Ya bahi el djamel, l'artiste qui chantait l'amour et l'espérance a su incarner toute sa vie un bel homme, mélomane, simple, certes, mais très riche dans ses relations avec les gens. » « C'est un bonhomme que je connaissais depuis 1963, je l'ai découvert lors d'une semaine culturelle à Tunis. Ça a été une révélation. Il me plaisait beaucoup par son style et sa voix voluptueuse. J'ai tant apprécié l'amitié qui nous a réunis à Alger ou à Constantine », témoigne Sid Ahmed Serri. « On ne peut pas parler de malouf sans citer le cheikh Bentobbal. Un homme sympathique et chaleureux. Il aimait tant son art, mais ce qui lui tenait à cœur était cette association d'El Bestandjia qu'il chérissait beaucoup. Il parlait de ses élèves avec tant de fierté », répliqua Mohamed Khaznadji. « J'étais jeune quand j'ai connu Abdelmoumène Bentobbal. Il a été ma référence avec cheikh Darsouni. C'était un homme d'une extrême gentillesse et qui a fait preuve d'une disponibilité et d'un sens poussé de la pédagogie et du savoir musical qu'il a su transmettre à ses élèves pour marquer de son style toute une génération », nous révélera Smaïn Hini. Pour preuve, la relève et les anciens élèves d'El Bastandjia, montés sur scène, ont gratifié le public d'une soirée mémorable et poignante. Une belle note d'espoir qui dessine les traits d'un avenir certain pour Constantine et son malouf. Abdelmoumène Bentobbal peut reposer en paix.