Les instances officielles de l'Islam de France devaient être renouvelées hier pour la seconde fois depuis la création laborieuse du Conseil français du culte musulman (CFCM), en 2003, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur. 5232 délégués représentant 1221 lieux de culte étaient appelés hier à élire le nouveau CFCM. La commission électorale a ainsi validé la liste des mosquées autorisées à participer au scrutin, et a déterminé le nombre de délégués électeurs par lieu de culte. En 2003, 4042 délégués représentant 992 mosquées avaient voté. Pour cette seconde élection du CFCM, les listes sont plus éclatées. Initialement prévues en avril, puis le 5 juin, les élections ont été reportées deux fois en raison de querelles et de dissensions entre les principales fédérations. Le Conseil français du culte musulman (CFCM), miné par de profondes divergences, a risqué l'implosion à plusieurs reprises. Un système électoral contesté L'institutionnalisation de l'Islam de France a largement profité à l'UOIF, au détriment des musulmans modérés et laïques. L'UOIF représente un tiers des sièges du CFCM et occupe deux sièges au bureau national. Manœuvrant habilement, l'UOIF n'a eu de cesse de vouloir se présenter comme un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Cette sur-représentation de l'UOIF dans le CFCM en décalage avec sa représentativité réelle provient du fait que le système électoral a faussé la réalité de la pratique musulmane de France. En reposant sur le mètre carré de salles de prières, le système électoral écarte la grande masse de pratiquants qui ne fréquentent pas les mosquées pour faire leurs prières (et ils sont majoritaires). Dans un communiqué diffusé le 15 septembre 2004, la Fédération de la Mosquée de Paris annonçait qu'elle « renonçait » à participer aux élections destinées à renouveler le CFCM si les modalités d'élection de l'institution musulmane n'étaient pas revues. Elle affirmait : « L'organisation actuelle du CFCM réduit considérablement l'expression des autres sensibilités musulmanes. » La Fédération de la Mosquée de Paris a toujours contesté le mode d'élection des représentants du conseil (à la superficie des lieux de culte). Elle réclame que la superficie soit pondérée par l'existence d'un réel service cultuel comprenant « les cinq prières quotidiennes plus la grande prière du vendredi, une salle d'ablutions digne de ce nom, une école coranique, une école d'arabe ». « Une révision des critères électoraux du CFCM afin de permettre une réelle équité de la représentativité du culte musulman ». L'UOIF s'est toujours opposée à toute modification des règles des élections qui l'ont favorisée. Dysfonctionnements et difficultés Pour contourner « l'entrisme » de l'UOIF, pour donner plus de transparence au financement des mosquées, et pour leur permettre de sortir de la précarité, sans égratigner la loi de séparation sur la laïcité de 1905, le ministre de l'Intérieur, Dominique de Villepin, avait préconisé il y a quelques mois, la création d'une fondation pour financer les lieux de culte. « Les dysfonctionnements et les insuffisances constatées durant ce premier mandat de deux années doivent être absolument corrigés à l'occasion de la mise en place du futur conseil d'administration », a souligné le CFCM dans un communiqué du 15 mai. « Pour ce faire, le renforcement des relations dans la confiance et la sérénité entre les différents membres du CFCM sont nécessaires afin que l'intérêt du culte musulman soit préservé. » Il reste que l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), qui traverse une période de turbulences et de contestation, devait affronter en région parisienne une liste concurrente, ce qui n'est pas pour arrange ses affaires, elle qui aspire à être l'élément moteur de la composante de la représentation officielle de l'Islam de France. Cette liste indépendante devait être conduite par l'Alliance des musulmans indépendants d'Ile-de-France qui regroupe les mosquées membres de l'Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM 93) et la Fédération française des associations islamiques d'Afrique, des Comores et Antilles (FFAIACA), partie prenante du CFCM. En 2003, la liste indépendante, conduite par l'UAM 93, avait été disqualifiée juridiquement. Lors du scrutin organisé en 2003, l'UOIF avait emporté la présidence de la région regroupant les mosquées de Paris et celles recensées dans les départements des Hauts-de-Seine, du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis. Tandis que Hadj Thami Brèze, le président de l'UOIF, dirigeait l'exécutif régional, son secrétaire général Fouad Allaoui siégeait au bureau du Conseil français du culte musulman. Mais l'UOIF ne serait-elle pas en perte de vitesse ? Dans ses rangs, la contestation se fait de plus en plus forte, notamment de la part de ses jeunes membres, alors que depuis deux ans, elle n'a pas augmenté le nombre de ses adhérents. La déferlante UOIF n'est plus de mise. Yamin Makri, porte-parole du Collectif des musulmans de France, proche de Tariq Ramadan, qualifie les dirigeants de l'UOIF de « nouveaux notables musulmans de la République », et de « relais dociles des pouvoirs institutionnels ». Obstruction Dans une lettre du 3 mai 2005, le secrétaire général de l'UOIF, Fouad Allaoui, annonçait sa décision de démissionner de la direction nationale du CFCM, dénonçant des « pressions et des injonctions politiques » sur le CFCM de la part du ministère de l'Intérieur. En fait, il s'agissait d'une manœuvre de plus pour imposer son propre candidat à la tête de l'aumônerie générale des prisons. Quelques jours plus tard, il revient sur cette décision, affirmant avoir reçu l'assurance que la relation entre le culte et l'Etat serait un des chantiers de la prochaine mandature. La démission du secrétaire général de l'UOIF du Conseil exécutif du CFCM pour protester contre la nomination d'un aumônier modéré et anti-intégristes, Alaoui Talibi, a eu pour résultat le report de celui-ci par le ministère de l'Intérieur. « On précipite trop les choses. Pourquoi ne pas attendre qu'un nouveau bureau du CFCM soit élu en juin ? », avait déclaré le président de l'UOIF Haj Thami Breze. Le bureau du Conseil français du culte musulman avait choisi, lundi 2 mai, de proposer au ministère de la Justice de nommer Moulay El Hassan El Alaoui Talibi au poste d'aumônier général musulman des prisons. L'UOIF n'a eu de cesse de jouer l'obstruction sur des dossiers importants : l'organisation du pèlerinage annuel à La Mecque, le marché de la viande halal ou encore les aumôneries des prisons. Dans OPA sur l'Islam de France : les ambitions de l'UOIF (éditions Calmann Levy), Fiammetta Venner démonte la stratégie développée par l'UOIF pour prendre le contrôle institutionnel de l'Islam de France.