Qui néglige la musique ignore l'approche du sublime », a dit Louis Nucera, romancier français. Tel est l'un des drames de notre époque. Du moins en ce qui concerne notre musique traditionnelle, partie intégrante de notre patrimoine culturel. Et c'est pour toucher du doigt cette question et tenter de trouver des solutions que l'Entreprise nationale des arts graphiques (ENAG) a organisé une table ronde autour du patrimoine musical algérien et son rapport à l'édition, hier, à la librairie Média Book. Le débat a vu le concours de différents intervenants qui ont un lien direct avec la musique traditionnelle. Le premier à prendre la parole est le grand maître de l'andalou, Sid-Ahmed Serri, auteur du recueil Le Chant andalou (éditions ENAG). Pour lui, le drame se situe dans le fait que des maîtres disparaissent avec leurs textes. « Depuis l'Indépendance, nous en avons perdus vingt huit. » Et c'est pour éviter que le drame ne prenne des proportions démesurées qu'il s'est attelé à mettre sur papier de nombreux textes andalous, accompagnés d'un Compact Disc. Le recueil, qui s'adresse à tous, y compris aux amateurs, permet de préserver une partie des qaçidate dont l'avenir commençait à devenir incertain. M. Taoussar, directeur général de l'Office national des droits d'auteur (ONDA), est intervenu pour expliquer que les textes juridiques ont mis plusieurs années à évoluer, ne serait-ce que pour donner une bonne définition du patrimoine culturel, musical inclus. Mais il précise qu'une action d'envergure est menée par l'ONDA pour préserver ce patrimoine musical. Il s'agit de l'enregistrement de plusieurs centaines de morceaux (noubate, qaçidate du chaâbi et de la musique amazighe...). Des commissions ont été constituées pour superviser ce travail et, actuellement, plusieurs CD ont été enregistrés, dont un coffret de cinq CD de l'école d'Alger et trois coffrets de dix neuf CD de Constantine, accompagnés d'ouvrages contenant textes et partitions. Ces enregistrements seront, dans un premier temps, distribués aux bibliothèques, instituts de musique et centres d'archives, avant de faire l'objet d'éditions commerciales. M. Baghdadi, auteur et producteur d'émissions radiophoniques musicales, directeur des archives à la Radio algérienne et spécialiste du patrimoine chaâbi et andalou, en vient à la relation entre le patrimoine musical et l'édition. Pour lui, le problème n'est pas dans le fait qu'on manque d'ouvrages sur la question. « Je peux vous en citer beaucoup puisqu'il en existe pas moins d'une soixantaine », dit-il avant d'expliquer que le manque de succès de ce genre d'ouvrage s'explique en quelques mots : « Le patrimoine était considéré comme étant une subculture. » Et d'après lui, pour mener une action d'envergure, il faut effectuer un travail collégial, en réunissant des linguistes, des anthropologues et des musiciens. « Seul l'Etat pourrait financer ce travail, comme se fut le cas au Maroc », indique le spécialiste, qui souligne la nécessité de consulter les collectionneurs pour, éventuellement, récupérer des pièces uniques ou rares. Le dernier intervenant, M. Aomar, directeur des éditions Gamma, va dans le même sens que son prédécesseur. « La meilleure façon de sauver notre patrimoine musical est de l'éditer et de le diffuser, mais il faut beaucoup d'argent parce que ces œuvres ne marchent pas commercialement », dit-il. Il rappelle que les grandes nations, conscientes de l'importance de leur patrimoine, laissent le soin aux pouvoirs publics de financer sa préservation. Pour cet éditeur, il est anormal que l'ONDA se substitue à l'Etat et à l'édition. « La portée ne sera pas importante pour la diffusion », justifie-t-il sa pensée. Ce débat, qui fait partie de ceux qui ne s'achèvent jamais, laisse un goût amer et de nombreuses questions sans réponses. En voici quelques-unes : quand étudiera-t-on notre musique et nos textes à l'école ? A quand le retour du Festival national de la musique andalouse ? Comment sensibiliser les jeunes d'aujourd'hui à notre musique traditionnelle ?