C'est peut-être la première fois que le fait est relevé : la justice algérienne a recours aux procès expéditifs. Le constat est établi par Human Rights Watch (HRW), ONG de défense des droits humains, et annoncé hier lors d'une conférence de presse à l'hôtel Es-Safir à Alger. Eric Goldstein, directeur du Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW et chef de mission, a relevé que, lors des derniers procès des militants des droits de l'homme dans le sud du pays, les magistrats ont prononcé des « jugements prédéfinis ». Il a cité les cas de Labiodh Sid Cheikh, de Laghouat, de Djelfa et de Ghardaïa. « Il y a eu un emploi abusif de la détention provisoire à des fins politiques », a-t-il relevé. Il a évoqué l'affaire d'Ahmed Benaoum, directeur du groupe de presse Erraï El Aâm, acquitté après onze mois de détention provisoire à Oran. Il a également parlé du cas, peu connu, du vice-président de l'APW de Laghouat, emprisonné depuis plus d'un mois pour avoir, semble-t-il, prononcé des mots peu amènes à l'égard du président de la République. Les journalistes sont, selon HRW, devenus les victimes privilégiées d'un appareil judiciaire « de plus en plus politisé ». Selon Eric Goldstein, la détention provisoire est devenue une règle et non une exception. L'amendement apporté au code de procédure pénale en 2001 a-t-il servi à quelque chose ? « Les juges ont prononcé des jugements sur la base de dossiers vides », a-t-il déclaré. Plus grave. « Des décisions de culpabilité sont souvent prises sans que les preuves impliquant les accusés soient rapportées », a relevé HRW dans un communiqué de presse rendu public hier à Alger, Bruxelles et Washington. Eric Goldstein a observé que les magistrats algériens refusent « systématiquement » d'ordonner des enquêtes lorsque des détenus disent avoir subi des tortures ou des mauvais traitements pour les faire avouer de leurs supposés crimes. En aparté, Eric Goldstein nous a parlé de cas récents de torture constatés par des avocats après le passage de leurs mandants dans des lieux de détention. Evoquant le cas des disparitions forcées, HRW a relevé qu'aucune enquête n'a été menée par la police pour situer les responsabilités. « Et les juges n'ont rien fait pour juger les coupables. Les familles des ‘disparus' ont déposé des centaines de plaintes devant les tribunaux, plaintes qui sont demeurées sans suite », a observé Eric Goldstein. L'appareil judiciaire n'a, selon lui, pas permis aux familles de retrouver une seule des personnes qui ont « disparu » aux mains des autorités. « Les tribunaux ont également été incapables d'identifier le moindre agent de l'Etat responsable pour des disparitions », a-t-il ajouté. Même observation est faite sur les exactions commises par les groupes armés. « Les autorités avaient négligé d'enquêter sur l'immense majorité des crimes commis par les groupes armés ou de traduire en justice leurs auteurs », a relevé HRW. Les critiques faites par le passé par Abdelaziz Bouteflika sur le système judiciaire ont été soulignées. L'on a même évoqué l'amélioration des dispositions relatives au droit de la défense. Seulement voilà, « les tribunaux continuent de montrer un manque d'indépendance dans le traitement des affaires politiques », a souligné HRW. Evoquant les commissions de probation, créées en 2000 à la faveur de la loi sur la concorde civile, Eric Goldstein a relevé qu'aucun bilan n'a été établi sur l'action de ces structures qui ont travaillé sous le contrôle de la justice. « Il y a une opacité totale sur l'action de ces commissions », a-t-il noté. Ces structures devaient situer les responsabilités pénales des membres de groupes armés qui se sont livrés aux autorités, dont ceux de l'AIS. « La loi sur la concorde civile de 1999 (...) a pratiquement servi à absoudre les militants qui se sont rendus, sans tenir compte du fait qu'ils aient ou non commis des crimes violents. A ce jour, aucun rapport final sur l'application de cette loi n'a été publié par le gouvernement algérien », a noté l'ONG. Selon elle, l'Algérie est sortie de la violence qui a secoué gravement ses institutions. « Le gouvernement algérien ne pourra cependant pas consolider l'Etat de droit sans une justice réellement indépendante. Les réformes de l'appareil judiciaire ne suffiront pas sans une volonté politique inflexible », a souligné HRW.