Le consul général de Tunisie en collaboration avec la direction de la cinémathèque de Annaba a convié le public récemment à la faveur de la semaine du film tunisien à une rencontre avec Ahmed Attia, un des grands noms du cinéma tunisien et maghrébin. Avec ses nombreux films courts et longs métrages, on peut dire que Ahmed Attia est l'enfant prodige du cinéma arabe. Il est de cette rare espèce d'hommes de culture à ne pas chercher à « devenir ». Au plus fort des crises vécues par le cinéma mondial, pas une seule fois l'idée de décanter ne lui a traversé l'esprit. Il a cette fierté de se dire tunisien jusqu'au fond de l'âme et d'affirmer être le grand ami de l'Algérie et des Algériens. L'on laissera de côté son éclatante biographie, ses œuvres cinématographiques à succès et sa carrière de producteur et de réalisateur, quand le grand écran le révèle montrant le chemin à ces jeunes compatriotes (nombreux à Annaba à l'occasion de la manifestation) et autres cinéastes d'ici et d'ailleurs. Ahmed Attia qui était accompagné à Annaba de Mohamed Ali Cherif, un autre grand nom du cinéma tunisien, est irrésistible de conviction, d'humour et de charme aussi. Dans cette salle de projection du palais de la culture et des arts Mohamed Boudiaf de Annaba, Ahmed Attia a prouvé qu'il est resté ce fantastique homme de communication. Durant toute son intervention devant le représentant diplomatique de son pays à Annaba, des journalistes, des hommes de culture et Driss Boudiba, directeur de la culture, il a dit des vérités. Comme, il l'a toujours fait en regardant les autres dans le blanc des yeux et fait grogner de rage ceux qui, dans le monde du cinéma arabe, sont censés faire et défaire l'opinion. Il a dénoncé la disparition d'une grande partie de films algériens et des coproductions. « Nul ne peut s'aventurer à réaliser en coproduction avec les Algériens. Il n'y a pas de véritables interlocuteurs. La gestion du cinéma algérien est floue. Il est regrettable de dire que des dizaines de négatifs de films algériens ont disparu et nul ne sait ce qu'il en est advenu », a indiqué Ahmed Attia. Cette vérité soigneusement cachée par le ministère algérien de la Culture et par les cinéastes nationaux est ainsi mise sous les feux de la rampe avec le franc-parler du réalisateur et producteur tunisien. C'est, certainement à ces cinéastes qu'il s'est adressé lorsqu'il a tenu à préciser sur un ton amer : « Le seul Oscar décroché depuis la création du festival de Cannes pour un film arabe a pour nom l'Algérien Lakhdar Hamina. C'était pour le monde du cinéma arabe une occasion à saisir pour aller de l'avant. Nous l'avons raté. Depuis, nous ne faisons que compter les coups. » Ahmed Attia a parlé des efforts consentis par les pouvoirs publics tunisiens en matière de réalisations cinématographiques auxquelles il accorde 1,5% du budget national. Dans ce pays, 15 films, dont 5 longs métrages, sont annuellement produits et 10 % des moyens financiers sont investis pour la mise à la disposition des hommes et femmes du cinéma tunisien le nécessaire pour exprimer leur talent. « En Tunisie, tout est bien encadré. Je regrette de le dire, mais ce n'est pas le cas en Algérie où des productions et coproductions, comme celle de Tayeb Louhichi à laquelle j'ai personnellement participé, ont disparu. En matière de cinéma, personnellement, je ne sais pas qui fait quoi en Algérie », a affirmé celui qui, en Tunisie, a joué son nom et sa fortune sur la réalisation cinématographique. Dans la voix de cet homme de culture tunisien, maghrébin et arabe, le ton garde une juste intensité, sans passion. En fait, Ahmed Attia ne fait qu'interroger et s'interroger sur le pourquoi d'une situation d'un cinéma algérien en désuétude. Il y a dans les anecdotes de Ahmed Attia, dans ses « je me souviens » comme un rappel à l'ordre à l'adresse de tous les cinéastes maghrébins pour qu'ils se ressaisissent. Pour qu'ils redorent le blason terni du cinéma maghrébin. Il y a dans les propos de ce cinéaste, l'intelligence, l'acuité et l'émotion, un très grand nombre de points de suspension imposés par la pudeur, la chaleur humaine et la finesse des propos de cet homme qui vit par et pour le cinéma. A Annaba, durant plusieurs heures, Ahmed Attia a su dire crûment les choses pour dénoncer une situation qui le désole. « Avec le soutien des pouvoirs publics à la réalisation cinématographique et la construction ou la réhabilitation de 1000 salles de cinéma, dont des complexes, les Egyptiens ont entamé le renouveau de l'activité cinématographique dans leur pays. En Tunisie, nos 25 salles sont toujours désespérément vides, dans un état lamentable, alors qu'au plan de la production et réalisation, la Tunisie est à l'avant-garde. Le choix des gérants de salle à projeter des films violents ou érotiques et l'éloignement des populations des salles de projection ont tué le cinéma tunisien. C'est pourquoi nous avons élaboré une stratégie visant à effectuer régulièrement des projections à l'intérieur des établissements scolaires et à encourager la création de clubs cinématographiques », a conclu Ahmed Attia la conférence débat qu'il a animée.