Depuis le 5 juin et ce jusqu'au 20 juin 2005, la Cinémathèque de Annaba abrite la semaine du film tunisien. Sous l'impulsion du dynamique Amar Chétibi, le directeur, une vingtaine de courts et longs métrages sont inscrits au programme. Ils offrent l'image effilochée de l'ancien uniforme du 7e art tunisien et la réalité vécue par l'actuel cinéma sous l'emprise d'une nouvelle génération de cinéastes. Avec cette série de films, la génération semble vouloir lui broder les motifs de son rajeunissement. Il était temps. Durant des décennies, les acteurs, metteurs en scène, réalisateurs et techniciens ont bâillé devant des « images de bois », au point d'atteindre une léthargie qu'agite, parfois, un événement national. Au-delà de la traditionnelle courtoisie des Tunisiens reflétée dans la déclaration d'ouverture faite par Djibbi Chahir, attaché culturel à l'ambassade de Tunisie à Alger, il y a autre chose. Il y a ces comportements d'hommes et de femmes du cinéma tunisien qui surprennent par la décontraction des rapports avec le public. A Annaba, de la langue de bois attendue de nos gentils et aimables voisins de l'Est, il n'en est resté que quelques échardes. Ce que tente de supprimer avec subtilité Rédha Bihi dans le rôle qu'il a attribué dans son film La Boîte magique, à cet enfant passionné de liberté du geste, du mouvement et de l'expression. Durant les 2 premières journées de projection à la cinémathèque de Annaba où ils étaient venus en nombre, cinéastes et acteurs tunisiens ont fait part sans ambages de leurs récriminations sur les interventions de la censure. Mieux, leurs films témoignent d'une évolution lente et toujours menacée sans doute, mais certaine. Lus entre des séquences et dialogues, la Madina ma mémoire de Fatima Scandrani (2003) ; Casting pour un mariage de Farès Nanaâ (2004) ; Les Ksour de Mounir M'salem (2001) ; La Dictée (Visa) d'Ibrahim Etaief (2004) ; De Carthage à Kairouan de H'mida Ben Ammar (1984) démontrent que le cinéma tunisien vit toujours sous surveillance. Certes, il existe une certaine mobilité des cinéastes et acteurs au gré de quelques possibilités culturelles, mais les dithyrambes bien pensants ont, apparemment, toujours droit de cité. Et même si les autorités tunisiennes se sont aperçues qu'il leur est impossible de prévenir les « errements » de certains de leurs cinéastes, des scénarios anodins et des tournages en apparence orthodoxes leur ont causé bien de surprises. Malgré les aléas, la démarche des cinéastes tunisiens entraîne le soutien international comme celui qui leur a été exprimé à la Mostra de Venise (Italie) et au Festival international d'Amiens (France). Les films au programme du 7e art tunisien à Annaba ont beau prétendre dévoiler les splendeurs et les turpitudes cachées de la verte Tunisie, tout est fait pour que le charme vénéneux de la Tunisie des concessions joue à fond. Ce qui consolide cette impression d'absence de liberté dans le cinéma tunisien. C'est à cette évidence qu'ont conclu les nombreux spectateurs avertis présents à la cinémathèque ces 2 premières journées. Une évidence que montrent sans le vouloir les films projetés et ceux appelés à l'être dans les prochains jours. De la grande surveillance qui enserre ce cinéma, l'on relève que les fortins politiques sont bien sûr les mieux gardés. Pas un seul film n'en fait référence. L'essentiel des thèmes traités est cimenté de morale. C'est là qu'interviennent les scénaristes les plus indépendants. Par leur audace, ils tentent d'éroder les interdits et briser les tabous. Avec d'infinis jeux de cache-cache, de gestes arrêtés, de plans coupés, de comportements benoîtement mis sur le compte de la bourgeoisie, ils fustigent l'intolérance et la pudibonderie. Ils le font tout en déclinant de façon allusive sans doute mais d'autant efficace, les gestes, fantasmes et rites de la frustration. Avec des sujets tels que ceux traités par Rédha Behi, Fatima Scandrani et Farès Nanaâ, l'on n'est pas surpris, dès lors, de se retrouver à faire du tourisme, à vivre des mariages et à constater que la façade respectable des rapports homme-femme est un thème privilégié. Les scénaristes ont beau rester silencieux sur la question des contraintes policières, on devine à travers leurs films qu'ils l'ont vécue comme un immense gâchis et une perte de temps. A Annaba, le cinéma tunisien nous a paru encore somnolent et englué dans les contrôles. Il a démontré que, malgré tout, il a commencé à rouvrir les yeux. Contrairement à son voisin algérien qui ne pourrait en dire autant. Car, sous la gestion de Khalida Toumi, notre cinéma s'est totalement éteint. La seule manifestation internationale, les Journées cinématographiques méditerranéennes de Annaba (JCMA), qui aurait pu le ressusciter, est depuis longtemps enterrée.