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L'écriture : cette seconde nature
William Faulkner, un homme du sud
Publié dans El Watan le 30 - 06 - 2005

En 1950, le jury du prix Nobel de littérature choisit de récompenser le romancier américain William Faulkner et cela ne surprend personne. Cette distinction était vraiment la moindre des choses au regard de ce que cet auteur hors norme avait déjà apporté au monde des lettres.
William Faulkner venait alors d'atteindre l'âge de 53 ans, mais il faisait figure de dinosaure du roman universel. Il écrivait en effet depuis 1926 avec une régularité de métronome depuis la parution de son premier ouvrage, Monnaie de singe. Originaire d'un Etat du Sud des Etats-Unis, le Mississipi, Faulkner aurait pu n'être qu'un écrivain du terroir comme la littérature américaine en comptait déjà beaucoup. Sa force a justement été d'avoir transcendé les limites de l'enfermement dans le particularisme géographique pour donner à ses racines un prolongement universel. Faulkner a su parler à l'humanité en faisant de son œuvre le porte-voix de son petit lopin de terre. C'était bien sûr, et de façon indéniable, un enfant du Sud des Etats-Unis avec tout ce que cela implique, à son époque, de ségrégation, de déni et d'injustice. Faulkner est alors un révolté dont l'arme est la plume, car le vieil ordre établi dans le Sud sur les fondements de la race était érigé en loi inviolable. Mais William Faulkner n'était pas de ces écrivains qui célèbrent la case de l'oncle Tom de si lugubre mémoire. Ce n'était pas un écrivain comme les autres, car son vécu quotidien il l'inscrit dans des intrigues d'une complexité de dédale mythologique, il le décline dans un phrasé torrentiel tout en échappées, en retours, en arrêts, en fausses pistes, entraînant ses lecteurs comme des promeneurs dans une forêt à entrées multiples dont on ne voit pas l'issue. Si le style fait l'homme, celui de Faulkner est combiné avec une maîtrise à couper le souffle. En fait, le secret de Faulkner réside dans ce plaisir de l'écriture qui est vraiment sa marque de fabrique et il n'y avait que lui pour pouvoir écrire : Tandis que j'agonise, Lumière d'Août, Pylône ou le somptueux Absalon, Absalon. Le miracle déduit de l'écriture de William Faulkner est de traduire dans une dimension si profondément humaniste le destin de petites gens qu'il élève au statut de héros emblématiques. Il n'avait pas, encore une fois, le privilège d'être un écrivain attitré du Sud des Etats-Unis. A la différence des autres, il proposait une œuvre qui vivait par la densité des situations décrites, mais aussi par la structuration du texte écrit qui confine toujours dans un crescendo d'images violentes et révélatrices. Il est vain en cela de vouloir le comparer peut-être artificiellement à d'autres. Faulkner était Faulkner, et il avait sa place dans la littérature américaine et universelle. En 1950, lorsque Faulkner reçoit donc le prix Nobel de littérature, il est un homme amoindri par l'emprise de l'alcool mais d'une ahurissante lucidité. Son œuvre toute entière a été un plaidoyer époustouflant pour la dignité de l'Homme quelle que soit la couleur de sa peau ou sa condition sociale. L'immensité de son talent n'a pas préservé Faulkner des atteintes morales profondes à l'évidence chez un homme comme lui qui ne pouvait pas se résoudre à n'être qu'un témoin passif de l'Histoire. Il y avait certes ses romans flamboyants, mais la réalité dépassait la fiction et en 1950 les Noirs n'étaient pas encore des citoyens à part entière dans les Etats du Sud des Etats-Unis et a fortiori dans ce Mississipi où était né l'illustre romancier. Le Mississipi, Faulkner l'aimait pourtant au point de vouloir, dans un syndrome caractéristique d'attraction-répulsion de s'en éloigner et de toujours vouloir y revenir. Et Faulkner avait quitté le Sud pour s'engager dans une épopée hollywoodienne qui ajoutera à sa destinée un autre comptant de blessures. Dans la Mecque du cinéma, Faulkner est un homme atypique dont la présence ne pouvait pas se justifier par la seule nécessité de devoir gagner sa vie. Peut-être cherchait-il à fuir et que de ce temps là vient ce basculement chronique dans l'excès alcoolique. Véritable effet pervers d'autodestruction qui avait su se défendre de la tentation de la fragilité de l'âme par le recours à l'humour comme parade au désespoir. A Hollywood, le colosse littéraire affiche un profil bas, car il n'est que scénariste dans une industrie qui en emploie des centaines. Il est désigné par ailleurs pour travailler sur les romans d'auteurs, comme Raymond Chandler ou Ernest Hemingway, réputés être ses concurrents pour ne pas dire ses rivaux. Lorsqu'il est à Hollywood, Faulkner a conscience qu'il a déjà donné le meilleur de lui-même et que sa production littéraire encourt le risque de devenir répétitive. Le monde entier porte à nue Absalon, mais ce roman remontait déjà aux années 1930. La flamme qui alimentait son inspiration luxuriante n'était-elle pas en train de vaciller ? Les années avaient passé, mais le romancier restait attaché à ses convictions. Il abhorrait l'injustice, l'indignité imposée à l'Homme, et il n'aimait pas ce désordre de la raison qui s'imposait comme un modèle. A quoi servait-il alors lui, ou Marcel Proust, ou James Joyce ? Faulkner, en son for intérieur était vexé que l'art - son art en l'occurrence - rende beau le sordide que justement il entendait dénoncer. Il avait écrit des dizaines de romans, mais la voix de Harriet Beecher-Stowe, qui avait commis La case de l'oncle Tom, était encore plus retentissante que la sienne dans le Mississipi. Ce déchirement intellectuel chez Faulkner ne venait pas d'un sens du Moi hypertrophié. L'humilité de l'écrivain était aussi légendaire que son talent. Une anecdote résume son tempérament. Après la sortie de son premier ouvrage, son éditeur, confus, se présente à lui pour s'excuser platement qu'une erreur typographique, l'ajout accidentel d'un U ait transformé son vrai nom de Falkner en Faulkner. Sans se démonter, le jeune écrivain lève les bras au ciel et s'exclame : « Et alors ? J'étais Falkner, me voici Faulkner ! » Ce romancier à la conscience si aiguë, n'avait vraiment pas de problème d'identité. Il souffrait de voir les autres hommes agressés dans la leur. Et lorsque vint l'heure du prix Nobel de littérature, il était plus conforté que jamais dans l'idée que même devant une académie royale il ne devait tenir qu'un discours de liberté. Autrement à quoi serait utile son renom et l'autorité de son œuvre ? C'était, il en avait la certitude, son devoir de tenir ce langage contre la fatalité de l'ordre établi. Faulkner continuera d'écrire car il y a une vie après le prix Nobel de littérature. Il avait accepté l'invitation de l'université de Virginie ce qui lui permettait d'échapper aux méandres de la vie hollywoodienne. Il passera les dernières années de sa vie dans cet Etat et y mourut le 6 juillet 1962. Il n'avait que 65 ans.

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