L'amnistie générale est un projet opaque qu'on croit se dessiner dans l'esprit de son initiateur : le président Abdelaziz Bouteflika. La cécité qui frappe les contours et l'objectif recherché par ce projet rend inutile toute critique. Cela favorise, en revanche, la confusion et l'amalgame. Pour aboutir à un projet consensuel, assorti d'une thérapie définitive à même de soigner les séquelles laissées par la crise, il est nécessaire de savoir quel est le projet d'amnistie que le premier magistrat du pays veut lancer. Le professeur Madjid Benchikh est convaincu de cela. Animant, hier au Centre international de presse, une conférence sur la réconciliation nationale et l'amnistie générale, organisée par le FFS, M. Benchikh, venant de Paris (la capitale française), souligne qu'« à défaut d'un débat réel sur un projet concret, le contenu de l'amnistie se trouve entouré de rumeurs ». Tout en précisant qu'il n'a « aucune animosité contre l'amnistie générale », cet ancien doyen de la faculté de droit d'Alger et ancien président d'Amnesty International en Algérie trouve que « le silence des autorités sur ce projet indique que le gouvernement n'entend pas organiser un débat permettant de répondre aux aspirations des populations victimes ». Dès lors, l'échec de cette initiative est inévitable. Selon lui, la première condition pouvant garantir le lancement sur des bases saines du projet d'amnistie générale est d'ouvrir « un débat national » auquel participeront tous les acteurs politiques, la société civile, les associations et les familles des victimes. Là, M. Benchikh rejoint l'approche des ONG internationales qui ont eu à s'exprimer sur ce sujet. « Il faut que l'on écoute les victimes et les familles des victimes et prendre en compte leurs revendications », soutient-il. Il estime que la majorité des Algériens peut être favorable à l'amnistie, à condition qu'on lui donne suffisamment de garanties que ce projet ira dans le sens de « la reconstruction nationale ». Mais il faudra d'abord, à ses yeux, prendre certaines mesures pour préparer un climat adéquat à la réussite d'un tel projet. Entre autres, il faut « lever l'état d'urgence » qui constitue une entrave à tout exercice politique, syndical et associatif libre et puis installer des « commissions vérité ». « Celles-ci n'ont rien à voir avec la commission ad hoc présidée par Farouk Ksentini qui n'est en réalité qu'un mécanisme administratif qui a pour mission de justifier l'approche du gouvernement sur la question des disparitions forcées », précise-t-il. Selon lui, ces commissions devraient être composées de juristes et de personnalités crédibles. Aussi, ces commissions devraient être dotées de pouvoirs leur permettant de mener des enquêtes à même de déceler la vérité et de faire la lumière sur la tragédie. Vase clos Il est nécessaire également de permettre à la presse de travailler librement. Sans cela, « les bureaux et les administrations continueront à décider en vase clos », avertit-il. Le conférencier suppose que ce projet concernerait la période de « la guerre civile ». Elle touchera également les auteurs des massacres, viols, tortures, disparitions forcées et assassinats ciblés. Mais ces crimes sont-ils amnistiables ? Dans la Constitution algérienne, affirme-t-il, il n'y a aucun article qui peut empêcher l'absolution des auteurs de ces crimes. Aussi, la notion de crime contre l'humanité n'existe pas dans les lois algériennes. M. Benchikh estime que les crimes commis en Algérie que « ce soit les disparitions forcées perpétrées par les groupes terroristes ou par les agents de l'Etat » sont des crimes contre l'humanité, se référant à l'article 7 du statut de la Cour pénale internationale. Car, dans le droit international, « tout crime perpétré de manière systématique et généralisée est un crime contre l'humanité », explique-t-il. Pour lui, même si l'on arrive à absoudre les responsables de ces crimes en Algérie en décrétant une amnistie générale, cela n'empêche pas les victimes de recourir aux juridictions universelles. Dans la foulée, le conférencier préconise d'aller en premier lieu vers les victimes, les écouter et de prendre en considération leurs aspirations afin d'éviter de se retrouver dans ce genre de situation, citant au passage le cas argentin qui, 23 ans après, l'amnistie décrétée a été annulée. Selon lui, après la vérité, les familles des victimes peuvent pardonner si elles sont sûres que cela va contribuer à « la reconstruction nationale ». Car elles seront satisfaites de voir la mémoire de leurs enfants « réhabilitée dans un projet national ». Poursuivant son analyse, M. Benchikh trouve enfin que le contexte actuel, caractérisé par la violence, « n'est pas favorable à l'amnistie ».