Les principaux acteurs et victimes du conflit algérien restent bizarrement éloignés du débat. Dans un document rédigé et diffusé par un groupe d'anciens détenus des «centres de détention», ceux-ci saisissent l'opportunité du contexte politique actuel induit par le discours officiel, pour réclamer leurs droits. «Nous avons été arrêtés, transférés dans les centres du Sud algérien pendant plusieurs années, sans passer par un tribunal, et sans être accusés d'un chef d'inculpation clairement et officiellement notifié. Nous avons été libérés au bout de notre détention sans avoir jamais compris pour quelle raison nous avons été arrêtés et pourquoi nous avons été relâchés. Entre-temps, nous avons été licenciés de notre travail sans pouvoir justifier la durée de notre ‘'absence'', et aucun document ne nous a été remis pour faire valoir notre droit...». Le communiqué des anciens détenus des centres de détention nous replonge tout à coup dans le contexte de février 1992 et toute l'agitation qui s'en est suivie: «Nous avons été jetés par certains dans des prisons improvisées dans le désert algérien et parqués dans ce qui avait été appelé ‘'les centres de détention'' hors de tout cadre légal. Certains de ces endroits ressemblent à d'énormes fournaises, d'autres avaient servi aux expériences nucléaires, comme Reggane et Aïn M'guel (...) notre séjour sous les tentes avait été à ce point intenable pour mener certains à la mort, et d'autres à des maladies chroniques (...).» A la faveur du projet d'amnistie générale, formulé il y a près d'un mois par le président de la République, et repris à l'unisson par l'ensemble des «unanimistes», sans qu'on sache exactement de quoi il retourne, ni les contours et la teneur de ce concept, les islamistes se dressent pour faire entendre leurs voix. Dans ledit document, ils énumèrent une série de mesures-cadres susceptibles de solutionner l'ensemble de leurs doléances. La première de leurs revendications concerne la réhabilitation des islamistes emprisonnés en février 1992, puis libérés, hors de tout cadre juridique. S'ensuivent, pêle-mêle, les dédommagements pour tous ceux qui ont été libérés sans qu'une accusation leur soit notifiée, la prise en charge des malades et des familles de ceux qui sont morts pendant la période de leur emprisonnement ou de leur transfert, la réinsertion professionnelle, la levée de restrictions civiques et administratives qui touchent les islamistes emprisonnés au Sud et qui n'ont pas fait l'objet d'accusations avérées, etc. De son côté, la direction de l'ex-FIS soutient totalement les revendications introduites par les anciens détenus des camps du Sud, et estime que cela est un préalable à tout dialogue, sérieux et crédible avec les autorités. Abdelkader Boukhamkham, porte-parole informé de cette structure, va au bout de ce que pensent ses compagnons: «Ecoutez, il y a comme un malaise qui interdit aux uns et aux autres d'être clairs, et, en fait, d'être pratiques. Il y a d'abord cette idée lancée en l'air, l'amnistie générale, et dont personne ne sait rien, mais, pour positiver les choses, soyons preneurs, mais définissez au moins avec audace et lucidité les parties en conflit. C'est bien beau de dire ‘'Dieu pardonne à tous...'', mais il y a pardon et comptes à rendre. Les affaires politiques et les délits d'opinion sont une chose, et les affaires criminelles en sont une tout autre et doivent être mises dans un tout autre cadre de solutionnement. Ce qui ont tué, massacré, entaché leurs mains de sang de victimes innocentes, où qu'ils se trouvent, quels qu'ils soient, doivent être jugés et répondre de leurs crimes. C'est un principe juste et nécessaire». En fait, depuis que le président de la République, Abdelaziz Bouteflika a lancé son idée d'aller vers une consultation référendaire à propos de l'amnistie générale, toute la classe politique a applaudi, mais à aucun moment il n'y eut de débat sérieux sur le sujet, qui, en réalité, reste flou, opaque, flottant et imprécis pour la quasi-totalité. Certains ont affirmé qu'ils attendaient d'en saisir les contours pour en parler avec détails, mais la partie la plus impliquée dans le conflit, dont l'amnistie n'est qu'une tentative de solutionnement politique, c'est-à-dire les islamistes, reste éloignée du débat, ou peut-être tenue à l'écart. Le président de la République qui a lui-même initié le projet, peut, toutefois, jouer sur du velours avec toutes les parties impliquées dans le drame algérien: il cherche à trouver l'issue à la crise, l'étape qui fera sortir l'Algérie définitivement d'un conflit dont il a hérité et auquel il n'a contribué ni de près ni de loin à créer, entretenir ou faire durer.