Béchar a connu, tard dans la soirée de mercredi, les pires moments de son histoire. Des émeutes d'une ampleur sans précédent dues à des coupures répétées et prolongées de l'électricité dans les foyers ont éclaté vers 21h à Béchar Djedid. Parties de cette banlieue de 45 000 habitants (4 km au sud de Béchar), les émeutes se sont étendues à tout le trajet Béchar Djedid-Béchar pour s'arrêter à la limite du quartier Haï El Badr. Le long de cet itinéraire plongé dans l'obscurité totale, c'est le même spectacle de désolation : routes coupées à la circulation et jonchée d'objets hétéroclites, pylônes électriques et plaques de signalisation arrachés ou saccagés, voies publiques barricadées, pneus brûlés... Combien étaient-ils, ces manifestants ? Difficile d'évaluer leur nombre au clair de lune. En tout cas, ils étaient plusieurs centaines de jeunes émeutiers maîtres des lieux pendant plus de cinq heures, interdisant l'accès à l'arrondissement. Vers 23h, à bord d'un véhicule léger en compagnie d'un confrère, nous avons pu quand même nous frayer un chemin pour aller en direction des jeunes manifestants afin de connaître leurs motivations après avoir décliné notre identité et expliquer la raison de notre présence sur les lieux. « Depuis plusieurs jours nous vivons le calvaire des coupures répétées de l'électricité. Nous ne pouvons supporter davantage cette situation avec la forte canicule qui sévit (45° à l'ombre), alors que d'autres quartiers ne connaissent pas le délestage », indiquent les émeutiers. « C'est de la discrimination, de l'injustice », crient à gorge déployée ces jeunes manifestants, dont l'un, qui semble être le meneur, brandit l'emblème national. A proximité du siège de l'ancienne Cofel, un autocar brûle. Un peu plus loin, une agence postale est ravagée par le feu. Au niveau du quartier Haï El Badr, des brigades antiémeute protègent les stations de la radio locale et de la télévision. Des attroupements de citoyens se forment principalement sur cette artère menant vers Béchar Djedid. Vers minuit, à l'hôpital 240 lits, notre présence semble déranger un policier en civil qui, matraque au point, vitupère contre ce qui lui semble être un parti-pris de notre part lorsque nous avons demandé le nombre de blessés évacués vers l'hôpital. Un jeune garçon ensanglanté ramassé au cours de la manifestation et détenu dans une salle par un policier en faction affirme qu'il a été tabassé et embarqué de force par erreur. Dans une pièce voisine, un policier en uniforme, blessé au bras et étendu sur un lit, nous dira qu'il était d'accord avec les revendications des habitants de Béchar Djedid, mais nous demandera de ne pas citer son nom. Jeudi matin, l'on apprendra que cinq policiers et cinq émeutiers sont blessés et évacués vers l'hôpital pour des soins. Aussi les services de sécurité ont opéré une vaste campagne d'arrestations dans le milieu des jeunes émeutiers. Ils seront une cinquantaine de jeunes détenus depuis hier dans les locaux de la Sûreté urbaine. Au sujet des coupures électriques, des citoyens nous ont fait part des dommages subis par les commerçants disposant d'appareils frigorifiques (bouchers, vendeurs de produits laitiers, etc.) et autres désagréments causés aux foyers en cette période de grandes chaleurs à la suite des opérations de délestage prolongées et effectuées par les services de Sonelgaz.Dans la wilaya, des signes avant-coureurs laissaient présager de tels événements depuis quelque temps, car les responsables locaux de Sonelgaz, nous a-t-on dit, étaient en conclave la semaine écoulée pour trouver les moyens de remédier à cette situation de délestage. Les autorités locales donnaient l'impression d'être dépassées tant la détérioration du climat social était palpable. Le chef de l'exécutif de la wilaya est absent depuis quelques jours et la rumeur publique, s'appuyant sur l'absence de transparence, le disait partant depuis la visite du garde des Sceaux effectuée le 30 juin dernier. Pour beaucoup, ce soulèvement des jeunes n'est pas une surprise dans la mesure où il était prévisible. La surprise viendrait plutôt de l'évaluation des dégâts matériels causés aux biens de la collectivité qui n'a pas encore été établie.