Programmés et accueillis en vedette respectivement mercredi et jeudi, Houari Dauphin et Réda Taliani ont constitué l'événement majeur des 5e et 6e soirées consécutives du festival du raï qui devait se clôturer vendredi ou, plutôt, hier à l'aube. Le dernier a fait une entrée triomphale et a fait vibrer le théâtre de verdure Chakroun Hasni sous les intonations de Joséphine, l'un des titres à grande audience de cette saison. L'attente du public était telle que, à chaque fois qu'il tente des enchaînements vers d'autres de ses chansons, il devait inexorablement revenir sur le thème de cette roumia (française, européenne par extension) qui a brisé le cœur du malheureux au point de susciter le suicide. Cette chanson est l'aboutissement d'un parcours d'une dizaine d'années de tâtonnements mais surtout de recherche de la consécration. Le succès taraude l'esprit de Réda Taliani depuis qu'il s'est initié au raï. La preuve en est, c'est vers 5h que, il y a quelques mois, l'ébauche de ce tube qui devait d'ailleurs s'intituler Jacqueline lui est tombé sur la tête telle une révélation. « En route, chez moi, j'avais déjà la structure dans ma tête et c'était autour du passage qui dit : saâte tbanli omri....Puis, en arrivant à la maison, j'ai pris mon synthé pour continuer le travail », devait déclarer avant son passage pour la première fois de sa vie sur cette scène et face à un public d'Oran. La reprise par cœur et en chœur de la chanson l'a, à ce propos, sans doute mis très à l'aise. La veille, presque au même moment de la soirée, Houari Dauphin a tenu en haleine un public qui a su également accompagner son idole. Véritable bête de scène, il tire aussi de son vocal une puissance hors norme. De plus, la prestation qu'il a assurée ce soir démontre une évolution certaine dans la maîtrise des effets de scènes et des aléas des arrangements musicaux. Nediha guellilla nâalamha l'amour (je la prends naïve et lui apprendrai l'amour), Chehal nebghi n'qallache omri (Combien j'aime me faire plaisir), Sheraton, Dertiha biya (tu m'as eu) sont des tubes anciens mais toujours vivaces dans les mémoires. Dauphin, qui a clôturé son show par son tout dernier succès intitulé Je pense à toi je pense (directement en français), en compétition avec Joséphine, a auparavant observé avec son public une minute de silence à la mémoire de Hasni. Son style chevauche effectivement entre un raï sentimental hérité et un genre plus moderne, plus rythmé qui est le propre des chanteurs de sa génération. C'est le cas de Bella, particulièrement posé dans Ândi ghir anti (je n'ai que toi) et fougueux avec Hamraouya. Dans ce registre, cheba Kheira qui y excelle n'a eu droit qu'à un bref passage malgré un nom et une réputation entretenus depuis des années. De retour à Oran après s'être installée à Alger durant plusieurs saisons et où elle n'a cessé ni de travailler ni d'enregistrer, elle est revenue affronter un public qui s'est montré finalement indulgent. Elle interprétera uniquement deux titres : Keddab anta (tu es un menteur) et un extrait de son dernier album intitulé Ana bhar âliya (tant pis pour moi). La véritable révélation de ce festival restera sans doute Faty Rhiouia (en référence à Oued Rhiou). Cette jeune fille de 23 ans est une véritable rose dans un désert pour le simple fait qu'elle a bravé les interdits et a décidé de devenir l'unique chanteuse de raï de cette localité des alentours de Relizane, une région qui a par contre donné des maîtres du melhoune. Avec un style qu'elle qualifiera elle-même de wahrani mêlé de âroubi, elle a été, il y a trois ans, programmée pour se produire un 8 mars à l'occasion de la Journée internationale de la femme, une célébration consacrant les luttes pour les droits de cette frange de la société. C'est sans doute pour cela que, quelque temps plus tard, elle a tenu à composer Ma nebghiche l'euro, en réponse à une chanson qui traitait les femmes de matérialistes et qui l'a particulièrement touchée. Cette intrusion de la contestation par les femmes de l'image que certains chanteurs tentent de propager n'est peut-être pas une première mais, venant de la part de cette ancienne lycéenne qui dit avoir pris la décision consciente de ne pas céder à la tentation des cabarets (source de revenus), elle prend un cachet particulier. Ils sont nombreux les jeunes programmés durant ces deux jours pour ne citer que Mohamed El Wahrani, une voix prometteuse, ou Hafid de Beni Saf qui excelle dans le style saf, une variante particulièrement prisée dans la région. Dounia, Wassila, Mahfoud ou Hichem se sont tous produits devant l'ambassadeur du Portugal qui, accompagné de certains membres de sa famille, a été accueilli mercredi par les organisateurs du festival. La soirée de jeudi a par contre été marquée par le passage d'El Hindi qui, pour avoir été un peu éméché, a eu effectivement du mal à terminer ses chansons. C'était d'ailleurs à juste titre qu'il a chanté : Tlaqina par hasard fi Paris/kount fi wahd dar/âtinaha kima mdari (nous nous sommes rencontrés par hasard à Paris - j'était dans un appartement - et nous avons pris une cuite) en faisant le geste de la main. Les spectateurs étaient médusés mais cet ancien chanteur est tellement connu que tous ces excès (si tel est le cas) lui sont pardonnés. Lui-même n'en tient pas rigueur en disant Galbi kbir fih 200 m2 (j'ai un grand cœur qui fait 200 m2). Cette expression puisée d'un humour typiquement oranais cache mal le malaise d'El Hindi qui chante par ailleurs Reditini lizar (tu m'as humilié, expression équivalente) ou Fewtili benti (passe-moi ma fille). Ayant eu du mal à s'arracher de la scène, il aurait fallu l'intervention de Nasro de l'APICO pour le ramener à la raison. « On m'a conseillé de chanter des paroles “propres” et c'est ce que j'ai fait, mais je vois que d'autres n'ont pas respecté cette règle et ont eu beaucoup de succès », confie El Hindi à l'issue de son « numéro » en promettant : « A partir d'aujourd'hui, je vais sévir ! » Avec des mots évidemment.