Jeudi, vers 22h30, le théâtre de verdure Chakroune Hasni était déjà archicomble, mais aucun des chanteurs raï ne s'est encore présenté. Ces derniers ont souvent la réputation de ne pas être pointilleux mais, cette fois, la situation commençait à devenir alarmante. Elle l'était notamment pour Hocine, l'un des animateurs attitrés du Festival du raï. Dans les coulisses, on commençait à s'agiter et les musiciens du groupe Liberté, accompagnateur, s'impatientaient. « Avec seulement deux ou trois chanteurs, je peux entamer la soirée, mais là j'ai un seul, hormis le Comorien (Fahredine, ndlr) que je dois faire passer plus tard pour permettre aux musiciens de se reposer », s'inquiète l'animateur avant de suggérer à ces derniers de patienter encore avant de monter sur scène. Tandis que le public continuait à affluer malgré un prix fixé à 200 DA, contre seulement 100 l'année précédente, les organisateurs, hormis sans doute Nasro, président de l'APICO, confiant car connaissant bien le milieu du raï, commençaient à montrer des signes d'inquiétude. Cela ne saurait tarder et, effectivement, une demi-heure plus tard, tout était rentré dans l'ordre et le show pouvait commencer. C'est à Mohamed Aïn Larbaâ qu'on a donné la chance d'ouvrir le bal. Il le fera sur un rythme de Kabylie pour passer en revue tous les opérateurs de téléphonie mobile. Dans son titre Djezzy wellat watania (Djezzy est devenu watania), il inclura Mobilis et fera des rimes sur le mode GSM. Alors que, hormis les influences étrangères, le raï démontre d'année en année sa capacité d'embrasser toutes les variantes (du moins les plus stéréotypées) de la musique algérienne, la « manière de chanter » devient l'un de ses traits les plus caractéristiques. Par ailleurs, il est intéressant de constater que les paroliers du raï, qu'ils soient chanteurs où pas, ont bien saisi cet aspect de la culture de masse engendré par le boom de la téléphonie mobile en Algérie. La veille, à l'ouverture de cette 15e édition, le passage devenu habituel de Belkacem Bouteldja nous renvoie à une tout autre époque, celle où les textes « paraissaient » plus poétiques. « J'ai l'impression que l'ancien raï exprime des choses plus intéressantes », remarque, mais c'est peut-être juste une impression, une observatrice. Le public actuel ne l'entend pas de cette oreille et « l'ancien raï » ne survit que par des symboles comme Bouteldja, l'un des pionniers du raï moderne, mais dont la prestation vocale laissait à désirer mercredi. En fait, comme on l'aura également remarqué, cette année, faute de révélation d'un chanteur où d'un tube, il n'y a pas d'attente particulière comme ce fut le cas l'an dernier pour Reda Taliani et son titre Joséphine. Mais l'ambiance ne manque pas et le passage de Abbes a été remarquable comme l'est celui de Chebba Warda avec Ala djalek nechri carta (pour toi j'achèterai une carte), téléphonique s'entend. Le premier a bien assuré la soirée du mercredi, même si on déplore l'absence de Chebba Kheira, avec laquelle il aurait pu interpréter, en duo, l'un de leur succès ayant bien marché cette saison Wah ya laâdou (littéralement : oui l'ennemi). Cette dernière devait passer en solo hier. Rehaussée par El Hindi, la première soirée du festival a été également marquée par le passage de Redouane, Zinou (Nia lâaoudja), Fouzi, Tahirou, Tay Tay, etc. Fidèle à elle-même, Nedjma, passée jeudi, n'a rien perdu de sa verve. Mieux encore, cette saison elle a troqué sa robe traditionnelle oranaise contre une tenue de scène moderne toute noire et laissant apparaître ses formes. Avec son éternelle étoile sur le front, elle n'est pas insensible au compliment de rajeunissement que beaucoup lui ont fait, mais elle a refusé catégoriquement d'interpréter de nouvelles chansons. « Ana n'tayeb ou houma yaklou », lance-t-elle pour dire qu'il n'est plus question de se faire pirater de nouveau comme ce fut le cas la saison passée. Modeste et accessible, elle est devenue la chouchou des journalistes qu'elle n'oublie pas de citer en public quand elle énumère la majorité des catégories sociales. Son public est toujours là, mais c'est incontestablement Houari Dauphin qui a ravi la vedette à tous. Après l'hommage traditionnel à Cheb Hasni et du haut de sa célébrité, il aura toujours cette pensée pour les pauvres. A l'issue de chacun de ses passages, ce sont notamment les jeunes des quartiers populeux qui insistent pour l'approcher et le féliciter. Parmi ses chansons relativement nouvelles, on retrouve de longs passages en français comme dans Je pense à toi, titre de son avant-dernier album. Il interprétera Je t'écris d'un cœur brisé. Sur scène, ses anciens tubes comme Sheraton font encore des ravages avec, en prime, un jeu de scène avec lequel il s'accommode bien. Parmi les stars, Bella a également fait une belle prestation avec Bladna blad el kheir. Les influences orientales sont particulièrement perceptibles chez Adel, l'une des meilleures voix du moment. Il est venu au raï par nécessité avant d'adopter définitivement ce style qui semble lui réussir d'année en année, même s'il n'a pas encore trouvé la brèche qui fera de lui la future star. Alors que le lyrisme sentimental de Othmane n'a pas réussi à gagner les faveurs du public, Cheb Nani, en tenue très décontractée, a effectué un passage remarquable lors de la deuxième soirée (clôturée par H. Dauphin) qui s'est prolongée jusqu'à une heure très tardive de la nuit. Khalida Toumi, ministre de la Culture, était attendue, hier, soirée de clôture.