Ici, tu es chez les Kel Ahaggar, les véritables fils de l'Ahaggar », introduit solennellement notre accompagnateur en entrant, hier, vendredi, dans une pièce d'une maison à Tamanrasset. Tasses de thé chauds et assemblée de trois chefs de tribu touareg avec leurs accompagnateurs, grands gaillards vénérables et âgés en abaya et chèche enveloppant la tête et le visage. « Nos jeunes, les enfants des Touareg ont exigé leur droit au travail, et ce n'est pas la première fois qu'ils s'adressent à la wilaya. Samedi dernier, ils se sont présentés à la wilaya en paix, mais on leur a dit : vous n'allez rien faire. Les policiers les ont aussi provoqués. Alors ils se sont soulevés. Mais d'autres ont profité pour s'attaquer aux propriétés de l'Etat et à des privés », raconte le plus ancien. « Nous n'étions au courant de rien, le conseil de sécurité de la wilaya nous a demandé assistance lorsque les choses ont dérapé. Alors on a rassemblé les jeunes au quartier Sersouf et on leur a déconseillé de casser et de brûler », poursuit le vieil homme. « Depuis, les jeunes exigent que les autorités relâchent les personnes arrêtées durant les troubles, car souvent des innocents ont été raflés sans raison. La police en a relâché onze, mais le reste, une cinquantaine, est aux mains de la justice. Là, les autorités, à commencer par le wali, nous ont informés qu'ils ne pouvaient rien faire », explique un autre dignitaire, qui ajoute que le wali a promis d'étudier les revendications des manifestants « point par point ». marginalisation Les revendications s'articulent autour de la libération des détenus et des problèmes de chômage des jeunes de la région. « S'ils ne les relâchent pas, chacun prendra ses responsabilités », dit un homme, la quarantaine. « En tant que Touareg, nous avons un Etat qu'on respecte. L'Etat algérien. Un chef, hadj Moussa Akhamokh, qu'on respecte aussi. C'est grâce à sa sagesse que nous nous sommes tus depuis des dizaines d'années, malgré notre marginalisation par les autorités locales et la sourde oreille des élus locaux », dit un homme drapé dans une abaya bleue. « Mais l'Etat doit respecter les efforts d'Akhamokh qui ont permis que la région soit toujours calme. Or là, c'en est beaucoup ! Nos jeunes sont diplômés, mais restent collés aux murs. La société de mine d'or recrute ailleurs. Pour la lutte antiacridienne, on a ramené des chauffeurs d'ailleurs qui ne connaissent même pas le désert... » L'homme contrôle difficilement une colère séculaire et signale que c'est la première fois que Tam laisse exploser sa colère depuis l'indépendance. « Combien de rapports et de dossiers avions-nous envoyés au gouvernement depuis des années, notamment sur la question du trafic de papiers de l'état civil au profit des ressortissants de pays voisins (missive datée du 23 avril 2005). Mais rien. Personne ne nous entend. » « Nous ne voulons pas suivre le cas des Touareg du Mali et du Niger qui ont combattu par les armes leurs gouvernements. Nous sommes algériens. Qu'ils respectent notre longue patience ! Il faut que le président de la République soit informé de nos problèmes de chômage, d'eau, d'enseignement, de la culture targuie qu'on néglige... », dit l'homme en bleu. L'ancien reprend la parole pour démentir les allégations de menaces contre les Nordistes résidant à Tam. « Les gens du Nord nous ramènent plus d'approvisionnement que l'Etat lui-même. Nous leur louons nos maisons, ils nous apportent des citernes d'eau que l'Etat n'apporte pas. Dis-le à Alger et ailleurs, nous n'avons rien contre nos frères du Tell ou du Nord. J'ai participé à l'organisation du référendum sur l'indépendance en 1962, nous avons combattu ensemble, hommes du Sud et hommes du Nord. Et nous avons refusé la cession du Sahara au profit de la France », lance le vénérable Targui avec de grands gestes des mains. « Ou on nous considère comme des Algériens et on nous traite comme tel, ou on nous dit que nous sommes des étrangers et on rend nos papiers à l'état civil », dit l'homme à la abaya bleue. « Au moins, on sera fixés sur qui nous sommes ! »