Le juge d'instruction du tribunal de Tamanrasset a auditionné, hier, les quarante commerçants du marché de Tahaggart victimes des assauts, le 11 juillet dernier, de groupes qualifiés par les victimes de « pilleurs ». Ces violences sont intervenues dans le sillage des émeutes qui ébranlèrent la capitale de l'Ahaggar durant trois jours à partir du 9 juillet. Selon des sources judiciaires, 64 personnes passeront devant la justice mardi prochain pour destruction de biens publics et privés, selon des sources sur place. « Nous avons tout perdu. Nous n'avons pas un dinar sur nous », dit avec amertume un jeune commerçant, originaire de l'est du pays, comme la plupart de ses camarades d'infortune. Certains portent des traces d'ecchymoses, des empreintes violacées de morsures, des pansements sur la tête et toute la rage au cœur. Quatre commerçants seraient incapables de se déplacer. « Personne ne nous a protégés. Ils nous ont pillés tranquillement. Des enfants, des jeunes, des vieilles... Le dernier d'entre nous a perdu un million de centimes... Cinq ans de travail qui partent comme ça, et là, je n'ai même pas où dormir, quoi manger ! » Le jeune homme retient ses larmes en face du siège du tribunal de Tamanrasset. Le wali, Messoud Djari, a reçu hier après-midi trois représentants de ces commerçants. « On a demandé d'abord une prise en charge, car on a perdu argent et papier lors de l'incendie et des vols. On n'a pas mangé depuis je ne sais quand. On dort sur des cartons sur le site dévasté du marché. Le wali a dit que l'affaire était entre les mains de la justice et que pour le reste, on devait se débrouiller », lâche d'un trait un commerçant les traits tirés, les yeux rouges d'insomnie et d'épuisement. Nos tentatives de rencontrer le wali, comme depuis son retour mercredi soir après l'interruption de son congé, ont été vaines. Les commerçants ne peuvent recevoir de l'argent de leurs parents et proches via la poste, car ils ont perdu leurs papiers. « Je n'ai aucun papier qui prouve que je m'appelle Farouk ! Comment allons-nous faire ? » Un autre s'interroge sur l'inexistence, au niveau de la wilaya, de cellule de crise. « Nous n'avons aucun lien avec la politique et ceux qui nous attaqués n'ont pas de liens avec ceux qui ont manifesté devant la wilaya samedi dernier (9 juillet) », explique un gaillard en pantalon court usé par les difficiles derniers jours. Avant d'être reçus hier à 15h par le juge d'instruction, ces jeunes ont été convoqués pour des auditions chez le magistrat sur une période allant du 17 au 30 juillet. « Entre-temps, comment allons-nous vivre, manger et dormir ? », se sont-ils insurgés. Le procureur général n'a pu nous recevoir hier et le chargé de communication de la cour est en congé de 50 jours. Selon des agents de police, l'enquête sur l'assaut contre le marché de Tahaggart se poursuit. Les jeunes accusent les assaillants de les avoir attaqués « par racisme ». « Ils nous appellent les Chnawa, nous les gens du Tell et du Nord. » « Nous sommes contre toute discrimination. Ceux qui insultent les Nordistes ne sont que des voyous... A Tam, il n'y a pas de Blancs ou de Noirs, mais des riches et des pauvres », confie un directeur d'agence de tourisme, natif de Tam, rencontré hier. Même sentiment condamnant les dérives de type raciste avons-nous constaté chez les jeunes de Tam, les sages des tribus, les élus et les premiers manifestants qui ont tenu le sit-in le 9 juillet dernier. Dans les couloirs de la cour, un jeune déambule dans un état second. Une bourrasque de violence lui a fait perdre son magasin de mobiles et de cartes de crédit téléphoniques, place 1er Novembre. « Les cartes de 1200 DA se vendent de l'autre côté de la ville 100 DA. J'ai tout perdu. » Malgré la présence des unités antiémeute, le calme semble se réinstaller dans la ville. Le marché de gros est approvisionné de manière normale. « Des membres de la société civile exigent du wali de relâcher les détenus. Ce n'est pas de son ressort. La justice tranchera », indique une source officielle. A moins d'une décision politique, avancent des habitants de Tam qui portent leur regard loin, à 2000 km de là, sur Alger.