« Seul est grand celui qui transforme la voix du vent en un chant que son propre amour aura rendu plus doux. » Khalil Gibran L‘Algérie est porteuse d'un trésor ancestral commun mais qui a tendance à s'échapper subrepticement de la conscience collective. Seuls les « esprits rédempteurs » peuvent en être les sauveurs. Flora, de son vrai nom, Fatma Mouheb, a réussi ce prodige. Femme libre d'esprit, elle connaît jusqu'aux secrets d'alcôve la vie sociale et culturelle de la Kabylie. Avec ses mélodies douces et prenantes, sa voix douce et profonde, comme dans les contes anciens, elle a pu tirer des abysses de l'oubli des pans entiers de notre identité, jusque-là mise, en vain, sous le boisseau. Mais avant de verser dans l'écriture et l'interprétation de chants tirés du terroir, Flora avait longtemps milité pour les droits de la femme et dénoncé les injustices et la discrimination dont sont victimes ses concitoyennes. Son combat était l'incarnation d'une conviction irréductible. Certaines de celles qui en furent ses comilitantes et qui ont préféré la carrière au lieu de la foi, l'argent au lieu de la gloire et de la grandeur se retrouvent actuellement dans les salons feutrés et lambrissés des ministères de la République. Flora, par contre, a choisi de libérer son génie créatif, quitte à accepter la débines de tous les artistes qui ont cessé de plaire aux tenants de la pensée unique. « Je ne peux pas accepter de troquer mes convictions contre quelques espèces sonnantes et trébuchantes », a-t-elle confié. Elle n'a pas accepté, parce que, comme tous les enfants de cette Kabylie profonde et féconde, elle a connu l'école des privations avant celle des honneurs et des plaisirs. Née en 1966 à Dellys, Flora a dû, dès sa tendre enfance, faire face à tous les paradoxes. Elevée dans la rigueur de la famille kabyle, sa vie deviendra plus tard un long exode. Chaque départ est un poème et chaque retour est un roman. En 1975, son père, un émigré, décide d'emmener Fatma et sa mère en France. Bien que fascinée par cette nouvelle vie, Flora n'en fut pas pour autant enchantée. Son poème intitulé Douce France de mes errances raisonne comme le témoignage brûlant d'une femme à la recherche de son identité. Le rejet et les meurtrissures ont vite attisé ses blessures. Tout comme les pères kabyles, gardiens de l'honneur, son père lui a limité ses sorties. Au cours d'un voyage au pays, il envisagea de la marier dès qu'un prétendant sérieux taperait à sa porte ! Ce qui devait arriver arriva, mais les déboires conjugaux contraignirent Flora à un nouveau départ. « J'ai ressenti l'urgence de m'extirper de ce marasme familial avec ses cordes et ses interdits », a-t-elle soutenu. C'est en France qu'elle se découvre la fibre artistique. Toute jeune, elle a commencé à composer des poésies, à écrire des pièces de théâtre et à interpréter Jean Racine et Molière. Bien que férue de la littérature française, elle rêve d'un avenir dans le domaine de la musique. A Marseille, elle s'était inscrite, en 1987, dans une école d'art dramatique. Ce fut ses débuts dans le chant. Au sein d'une association culturelle africaine, elle a fait valoir son talent dans le chant et la danse. Elle a également excellé dans l'écriture des contes en mettant en avant son identité kabyle et en la transmettant aux autres. De ses contacts avec les membres de cette association, elle a appris certains dialectes africains, notamment réunionnais et commoriens. Elle interpréta phonétiquement des répertoires de Nora sur le colonialisme, Doukali (Montparnasse), ceux de Chrifa, Hanifa, Slimane Azème, Aït Menguellet, Fadéla et Sahraoui, etc. Au début des années 1990, elle regagne le berceau de son enfance, l'Algérie. Mais elle retrouve un pays livré à la nébuleuse terroriste. L'une des cibles faciles de la barbarie intégriste était la femme. Sensible au combat démocratique, elle s'engage, en 1995, malgré les menaces, dans les rangs du RCD et rejoint l'association Rachda. Lors d'un dîner offert par le président de la République en l'honneur des femmes, à l'occasion du 8 mars 2001, Flora n'a pas hésité à interpeller le chef de l'Etat sur le sort des femmes : « Monsieur le Président, soyez avec nous ! », a-t-elle clamé à l'adresse de Bouteflika, et à ce dernier de répondre : « J'essayerai de l'être ». Flora ne s'est pas arrêté là puisqu'elle a ajouté : « N'essayez pas, soyez le ». En guise de consentement, le président l'a gratifiée d'un sourire. Parallèlement à ses activités de militante dans le mouvement associatif, Flora se lance dans des formations en musique, en coiffure, en photographie et initie des recherches sur les chants et la littérature algérienne. Dans sa soif de retrouver son terroir, elle a passé au crible de nombreux ouvrages. Elle a fait des reportages photos et des films pour immortaliser les rituels et les traditions kabyles notamment. Elle a chanté les femmes, le pays, le désespoir des jeunes mais l'espoir aussi. Son poème Ya bladi ou thamourth-iw est le miroir même de la jeunesse algérienne. Une jeunesse qui, même dans le désespoir, s'attache à la vie : Cloîtrés dans deux mondes à part Noyés par notre désespoir Les pans de nos vies épars On nous a dit : « Il est trop tard ! » Quand on a vu la lumière d'un phare Nos voix se sont guidées dans le noir Les armes ? On ne voulait plus les voir ! La paix ? Notre avenir et notre devoir ! Vivre ! se pardonner enfin ! donner de l'amour et en recevoir ! Ensemble réécrire notre histoire Nos yeux en sont encore les tristes miroirs Mais nos cœurs meurtris veulent toujours y croire... Ce texte a été écrit et interprété par Flora dans un habillage musical de Rapsody, une musique américaine universellement connue. Fatma Mouheb invente sa propre mode et fait des objets qui illustrent les anciens rituels magiques qui se perdent. Elle les immortalise sur des photos, des supports audiovisuels et dans un site Internet (en chantier). Pour se ressourcer, elle s'instruit auprès des sages. Elle envisage de se déplacer jusqu'au M'zab, à Arris et peut-être jusqu'aux confins du désert pour recueillir des vieux chants et les interpréter. « Achouek est un chant interprété souvent par des femmes. Il retrace la vie quotidienne, les évènements historiques, les traditions et les coutumes », explique-t-elle. Pour elle, « le chant est d'abord un cri de femmes. Il glorifie les martyrs, transpose les traditions, la pratique pastorale », a-t-elle ajouté. Ces chants sont souvent entonnés pour se donner le courage nécessaire aux fins d'accomplir certaines tâches. Chaque activité ou événement a ses propres chants : les travaux champêtres, les tâches domestiques, les mariages, les naissances, les guerres, les sécheresses, la misère, la mort... Il y a également des chants liés à l'amour, à la trahison, à la haine, aux déceptions. « Je suis fascinée par ces chants et rituels d'un autre temps, gardés dans l'oralité et qui ont survécu à tous les colonisateurs, et je déplore qu'il n'y ait pas assez de chanteurs et de chercheurs qui reprennent ces airs d'antan... avant qu'ils ne disparaissent à jamais sous le torrent de la mondialisation. Tous ces chants sacrés du terroir doivent être immortalisés dans différents supports », a-t-elle estimé. Ce qui fait par ailleurs le talent de Fatma Mouhab est sans aucun doute le fait qu'elle ait pu donner une dimension musicale universelle à ces rituels et aux chants qui les accompagnent. Outre les recueils de chants, de poésie, Flora s'échine à mettre sur orbite son site Internet qui, selon elle, « revalorisera les complaintes des terroirs ». Le site sera alimenté de photos de rituels et de films. « Je souhaite qu'il soit bien fourni en expositions d'œuvres d' artistes sur le terroir algérien exclusivement axé autour du chant », a-t-elle souhaité. Comme Le Grain magique de Taos Amrouche, Flora Mouhab s'épuise pour léguer à la prospérité une anthologie de contes et de chants rituels, qu'elle a recueillis et sauvés de la déperdition. Comme Taos Amrouche aussi, dans ses chants, ce sont les mêmes maux et blessures qui resurgissent : la femme, l'exil, l'exclusion, l'Algérie... « Je partage avec Taos les même brisures, les même flétrissures », a-t-elle souligné. C'est de ce passé commun, à la fois douloureux et tumultueux, que Flora s'est inspiré pour donner un sens à ses combats. Flora s'apprête à éditer son premier roman autobiographique Djamila ou les Mirages d'une femme algérienne, une œuvre coécrite avec un écrivain français. Parcours Née en 1966 à Dellys, Flora, de son vrai nom Fatma Mouheb, a dû, dès sa tendre enfance, faire face à tous les paradoxes. Neuf ans plus tard, soit en 1975, son père, un émigré, a décidé d'emmener Fatma et sa mère en France. Là-bas, elle a poursuivi ses études jusqu'à la classe de terminale. A l'école, Flora découvre la fibre artistique et commence à composer des poésies, à écrire des pièces de théâtre et à interpréter Jean Racine et Molière. Elle rentre au pays en 1985. Après un mariage raté, elle a pris un nouveau départ pour la France. En 1987, elle s'est inscrite à l'Ecole des arts dramatiques de Marseille. Au sein d'une association culturelle africaine, elle a fait valoir son talent dans le chant et la danse. De ses contacts avec les membres de l'association, elle a appris certains dialectes africains, notamment réunionnais et commoriens. Elle a regagné le pays au début des années 1990 pour se lancer dans le combat démocratique et le mouvement féminin. Parallèlement à son activité de militante, Flora s'est initiée aux recherches sur les chants et la littérature algérienne. Elle a fait des recueils de poésie et de chants ainsi que des reportages photos pour immortaliser les rituels et les traditions kabyles notamment.