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Le Achewik (chant sacré) de Kabylie ou la survivance des femmes berbères
Publié dans El Watan le 17 - 01 - 2006

Arrêt sur image afin de comprendre l'importance du chant traditionnel berbère dans la vie des femmes kabyles. Des extraits en marge du film de Sid Ali Mazif qui présente le destin extraordinaire d'une femme, une centenaire, doyenne du tapis d'Aït Hichem, label International.
La souffrance et le courage de ces femmes kabyles à travers leurs chants et rituels sacrés sont la trame par excellence de ce film qui sera présenté au Festival international du film amazigh. « Deux yeux, un cœur et une conscience à tenir ouverts sans relâche. Un œil rivé sur le passé trie les images mariées au présent pour être offertes en un bouquet de fleurs senteurs éternelles à la conscience trop longtemps endormie. » L'autre œil, alerte et vif, jauge et juge et nous indique notre premier devoir : celui de barrer la route à la culture de l'oubli et d'extirper des geôles du temps tous les artistes. Maroui Saïd Sur les traces de Mohamed lgherbouchène (éditions HCA). Marguerite Taos Amrouche a chanté la tradition berbère et ses usages. Elle était devenue le porte-voix de toutes ces femmes recluses qui souffraient en silence au fin fond de l'Algérie. Emerveillée par ce lourd héritage, elle dénoncera l'injustice dont sont victimes ses compatriotes en tant que femmes. Sa mère aura vécu, à cause du code moral, en marge d'une société qui la reniera, et elle en gardera de profondes séquelles. La fille n'est pas non plus en reste, puisqu'elle ne parviendra pas à être reconnue ni dans son identité plurielle ni dans sa féminité propre. Exilées, à la recherche constante de leurs profondes racines, elles ne se reconnaîtront dans aucune société, comme elles le disent elles-mêmes : « Ni Françaises, ni Kabyles, ni Arabes, ni chrétiennes, ni musulmanes. » La mère écrira : « J'étais toujours celle qui ne ressemblait pas aux autres », et d'ajouter : « Je n'ai été nulle part chez moi », (relatant les nombreux déplacements dans Histoire de ma vie, le livre. Sans se perdre en conjectures, elles dépasseront ce déni total dont elles auront été l'objet. Par nostalgie, Fadhma Aït Mansour relatera sa vie avec courage, une première chez une femme berbère, où elle osera exprimer sa hargne et sa rage de vivre malgré tout. « Il s'agit d'un défi aux bouches cousues. C'est la première fois qu'une femme d'Algérie ose écrire ce qu'elle a vécu, sans fausse pudeur et sans détour. J'ai voulu être présent au grand événement que constitue pour nous la parution d'un tel livre » (Kateb Yacine). La fille deviendra pour sa part la première cantatrice en langue française du continent africain. Taos soulignera : « Tant qu'il y aura en moi un souffle de vie, qu'il soit mis au service de ces chants et de tous ceux qui leur ressemblent qui sont la gloire et le trésor de l'humanité toute entière. » (Marguerite Taos Amrouche). Leurs chants berbères seront compilés en 1937 et révélés au monde entier en 1939 par Taos Amrouche. Elle les aura exposés, certes restitués à l'original dans le texte, mais « rénovés par l'audace d'une interprétation qui lui était totalement étrangère, à savoir un style près du soprano. Contribuant ainsi même à ‘'sensibiliser'' un public autre que celui auquel ils appartenaient à l'origine. L'Occident fut transporté par la magie féerique de sa voix. Il tomba amoureux de ces terres sauvages et fertiles de leur provenance, jusqu'alors inconnues. Taos enregistrera une série de disques dont un en espagnol. Permettant ainsi à son public d'apprécier les différents styles de ces chants : ahiha, asshihel, amedah, asvo-rer, asharkes, azuzen, achekar, adhekar, achewik... On saluera son courage, celui de son frère Jean et celui surtout de leur mère (qui pourtant a été reniée par son clan à cause de ses usages sans merci) pour les avoir transmis et ‘'sauvés de l'oubli'' ». Aujourd'hui 95 d'entre eux sont conservés à la Société des auteurs et compositeurs de musique sous la référence « Chants sauvés de l'oubli Monodies berbères » de Marguerite Taos avec le concours d'Yvette Grimaud, attachée de recherche au Centre national de la recherche scientifique, Paris. Cette dernière signera les commentaires du disque Chants berbères de Kabylie qui sera primé en 1967 Grand prix du disque français. Le mérite de Taos est d'autant plus grand, lorsque l'on sait qu'elle est née en Tunisie et qu'elle a vécu, malgré elle, loin de son pays d'origine. Elle rendra son dernier souffle de vie en 1976 à l'âge de 63 ans. L'histoire retiendra qu'elle a initié des recherches sur la survivance de l'héritage berbère jusque dans la péninsule ibérique, qu'elle aura animé des émissions radiophoniques pour vulgariser la culture de son peuple et qu'elle a participé même à la création de l'Académie berbère, en mettant à la disposition d'intellectuels de l'époque son propre appartement à Paris. Elle dira à l'une de ses représentations sur scène : « Je ne suis pas seulement le témoin d'une génération passée, mais aussi celle à venir », lorsqu'elle s'inquiétera sur le risque de voir cet héritage séculaire disparaître à jamais. Elle se désolera de l'inertie ambiante à l'époque sur ce sujet qui « ne faisait rien pour sauvegarder toutes les traditions du monde entier ». Enfin, il faut noter sa contribution et celle de son frère dans la restitution du patrimoine particulier kabyle à travers de nombreux ouvrages notamment Le Grain magique (Aa-âka issawalène), un recueil de contes populaires. Grâce à la collecte et à l'édition de ces contes, elle dévoilera un autre aspect du charme de « la vie kabyle » autour du foyer qui n'a plus subsisté de nos jours. Si l'on salue aujourd'hui Assia Djebar pour son entrée à l'Académie française, il faudra aussi se souvenir que Taos a été la première femme Algérienne écrivain en langue française, peut-être même de l'Afrique à ce moment-là. La traduction de L'authenticité de la maisonnée kabyle et de sa magie à travers les œuvres du trio Amrouche et d'autres écrivains de l'époque aura contribué à tracer la voie aux jeunes en quête de « ressourcement identitaire » aussi bien à l'étranger qu' en Algérie même. De nos jours encore, des étudiants s'intéressent à ces pans de la mémoire collective. Certains ont présenté des thèses et en préparent encore ici ou ailleurs. Des ethnomusicologues ont édité des livres sur ce legs ancestral, d'autres recherches sont en cours, car ces chants envoûtants ont attisé la curiosité de plus d'un. Dernièrement, après que diverses académies à l'étranger aient enfin reconnu la langue berbère, des modules même sur cette poésie viennent de se créer... Tout cela grâce à l'engagement de chacun depuis des lustres... Des sociologues se sont penchés sur d'autres variantes de ces chants jusque-là confinés dans l'oralité à l'image de Makunda Aurès à Paris (encore). Elle consignera pour sa part des chants chaouïs et les interprétera même. Pour revenir à la poésie kabyle en particulier, les Issefra, on notera que la plupart seront signés par des hommes. Il est à retenir l'apport considérable de Si Muhand U Mhand à lui seul dans ce domaine (on fête actuellement son centenaire à travers le monde). Nombreux seront les artistes qui s'inspireront de son œuvre. Bien qu'il existe beaucoup de femmes qui aient porté leur griffe à l'histoire en ayant transgressé les tabous, nul n'ignore leur caractère de farouches combattantes. Ce n'était pas dans la tradition des Kabyles de laisser leurs femmes se faire « remarquer en public » sur ce plan là, d'où le paradoxe. Dès que le chant sort du cadre établi (foyer, fêtes, travaux, rituels sacrés), il relève de l'interdit, jusqu'à nos jours pour certains. On aura remarqué que bon nombre de chanteuses du début du siècle sont des femmes au passé douloureux, qui, souvent pour raisons « X », sont sorties du cocon de leur foyer, divorcées ou veuves ou encore orphelines pour la plupart. Elles seront reniées ou montrées du doigt, leur Achewik graine de souffrance s'enracinera encore plus dans leurs brûlures, il sera leur refuge et symbolisera leur déchéance lorsqu'elles boiront le calice jusqu'à la lie... Les aèdes kabyles, hommes et femmes, feront leur bilan sur leur vie singulière : Le printemps n'a pas fleuri, Je n'ai pas joui, Mes jours ont fini leur temps... (Si Muhand U Mhand) Hanifa se consolera avec Tha raï-iwe iti kha dhamène (c'est la faute à mon choix). Elle partagera une misérable bicoque avec Chérifa, l'autre « grande dame » du genre achewik. Cette dernière nous laissera Bka ala khir ay akvo (aurevoir Akbou) entre autres. Slimane Azzem, le chantre kabyle du bassin lorrain, quant à lui, relatera ses brisures d'exil par Thaksite boum'karkour (l'histoire du crapaud) ou La résidence mettant ses « deux » pays au même pied d'égalité .On retiendra que les Issefra et Achewik sont indissociables les uns des autres, la poésie se crée pour être chantée, « sefru », voulant dire séparer le bon grain de l'ivraie. Cette prose porte alors les accents mélodieux de la voix du poète kabyle. Ces chants demeurent gravés dans la mémoire collective, et nous rappelle l'existence d'un royaume jadis unifié, d'un peuple glorieux noble et fier par ses valeurs. Ils doivent leur survivance au sacrifice et au dévouement de ses nombreux aèdes hommes et femmes confondus, immortalisés à jamais. Un peuple qui a aujourd'hui perdu la réalité de ses repères d'origine, séparé par des frontières réelles ou virtuelles, si différent de ses voisins, mais si uni par cette richesse ancestrale commune.
(A suivre)


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