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La passion maghrébine ou le Ferdaous, selon Henri Matisse (IV)
Publié dans El Watan le 28 - 07 - 2005

Comme si le peintre éloigné de ce Maghreb qu'il a passionnément aimé allait le faire resurgir d'une façon plus systématique à cause de la nostalgie qui l'obsède. L'Afrique du Nord et l'art musulman vont lui servir d'alibi pour atténuer la nostalgie vis-à-vis d'un monde qui l'a subjugué jusqu'à la souffrance et jusqu'à l'extase.
A partir de 1928, la production jusqu'alors prolifique et abondante s'arrête brusquement pour ne reprendre qu'en 1935. Sept ans de silence qui ont permis aux critiques de l'époque de dire que Matisse, coupé de ses sources orientales, était devenu impuissant. L'œuvre qui viendra entre 1935 et 1960 prouvera qu'il n'en était rien. Il écrira à son fils aîné en 1938 : « Maintenant, c'est le grand bond en avant ! » En effet, à partir de cette date, Henri Matisse abandonne définitivement le chevalet et passera à une peinture qu'il qualifiera d'« architecturale ». Inspiré toujours de l'art maghrébin, les toiles de Matisse sont alors considérées comme révolutionnaires. Le peintre dira : « Il n'y pas de rupture. Seulement, je mets plus d'absolu et plus d'abstraction dans ma peinture. » Ainsi, l'importance des signes devient essentielle et évidente. L'espace est plus ample et la lumière plus rayonnante. Foisonnante. « C'est une écriture qui est celle des signes », dira-t-il à Van Donguen. Il ajoutera : « Le Ferdaous me hante et j'y habite, et la calligraphie arabe m'obsède. Je suis comme hypnotisé ! » « A peinture plus lumineuse, peinture plus numinieuse », écrit Pierre Scheneider à propos de cette époque fabuleuse. Le nouveau style des années 1940, essentiellement décoratif et oriental, requiert également une thématique du sacré. Entre 1938 et 1954, date de sa mort, il se met à s'habiller et à vivre à la maghrébine. « Comme j'aime les tissus arabes et leur bariolage, le confort des vêtements algériens. La civilisation arabe est celle de l'or. La nôtre est celle de l'argent. » Il se remettra à séjourner au Maghreb à partir de 1945. Pendant les dix dernières années qui lui restent à vivre, ses thèmes se cristallisent, se purifient et se transfigurent tellement qu'on a de la peine à croire qu'ils sont l'œuvre d'un Français. L'iconographie de Matisse donne à lire des éléments que le grand peintre a su assembler en un système de signes qui donne à voir et à vivre un espace, un signe, une lumière, une culture et un art de vivre totalement arabes et musulmans. C'est à cette époque qu'il se met à lire les soufis musulmans, de Halladj, Ibn Arabi et Chahrawardi. L'art moderne occidental n'a pas d'équivalent matissien, à l'exception de Klee et de Macke, mais l'œuvre de Matisse est plus monumentale, plus géniale et plus grandiose. L'illumination d'Henri Matisse est de l'ordre de la transcendance. Celle de Halladj par exemple, à qui il vouera un culte que reprendront les grands peintres maghrébins issus de l'école matissienne, est très influencée par elle, tels Cherkaoui, Khadda, Belkahia, Bellagha et Mehdaoui. Finalement, Matisse a su mettre à notre portée notre propre Ferdaous, quelque peu négligé, voire oublié, grâce à cette peinture extraordinaire, cette cinétique vertigineuse et cette pigmentation de la couleur bouleversante. En fait, la peinture d'Henri Matisse ne se regarde pas... Elle se touche.

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