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Empreinte
Albert Marquet : pension Venot, Alger
Publié dans El Watan le 03 - 03 - 2005

parmi tous les peintres du vingtième siècle fascinés par l'Orient et tout particulièrement par l'Afrique du Nord, c'est Albert Marquet qui y a séjourné le plus longuement.
Découvrant l'art musulman, en compagnie d'Henri Matisse, dès 1910, à l'exposition de Munich qui lui était consacré, il fut « ébloui et très impressionné », selon ses propres termes. Pendant dix ans, il va se suffire de fantasmer sur cet Orient qu'il ira flairer et humer sur les quais du port de Bordeaux, sa ville natale, spécialisée dans les échanges avec cet Orient musulman et avec l'Extrême-Orient. Cet Extrême-Orient dont il subodore, très jeune, son art fabuleux à travers sa passion pour Hokusai. Comme Matisse, son ami et son aîné, Albert Marquet aura sa période japonaise. Dix ans après l'exposition de Munich, Albert Marquet s'embarque pour l'Afrique du Nord. Il visite la Tunisie, l'Algérie et le Maroc au cours d'un périple d'exploration où il est subjugué. Au bout de quelques mois, il rentre en France, mais c'est l'Algérie qu'il a déjà choisie. Il y revient quelques mois plus tard et s'installe à la pension Venot, dans le centre d'Alger, tout en ayant un pied à la villa Abdellatif où séjournent de jeunes peintres venus de tous les pays du monde qui le considèrent comme leur maître. Albert Marquet commence à peindre Alger de la pension Venot. Il fait le va-et-vient entre Alger et Paris, mais en 1923 il rencontre Marcelle Martinet, une jeune « pied-noire » qu'il épouse aussitôt. Du coup, Marquet est algérianisé par son mariage et par les dizaines de tableaux, croquis, pastels et fusains qu'il réalise dans une ferveur amoureuse : l'Algérie qu'il aime déjà beaucoup devient une passion amoureuse à travers les liens qui le lient à Marcelle, sa jeune épouse. Du coup, il a deux attaches dans le pays et il va y vivre pendant six années sans interruption, entre 1923 et 1929. Il revient en Europe et y restera jusqu'en 1932, année de son retour à Alger, où il va résider jusqu'en 1937. C'est à ce moment qu'il adhère au PCA. En 1932, il achète une superbe maison arabe sur les hauteurs d'Alger : « Djenan Sidi Saâd », détruite par l'armée française durant la guerre d'Algérie ; et va y habiter jusqu'en 1945, année, où malade, il rentre définitivement à Paris pour y mourir deux ans plus tard, en 1947. C'est donc en Algérie qu'Albert Marquet a vécu une bonne partie de sa vie puis qu'il y résidera un quart de siècle. Pendant « ces vingt-cinq années algériennes », comme il aimait le dire, Albert Marquet va sillonner le pays, mais au contraire des orientalistes et de ses contemporains fascinés par le Sud et par le désert, Marquet préférera le nord de l'Algérie et la côte algérienne, surtout les villes portuaires : Alger tout d'abord, Bougie ensuite et un peu Oran. Homme discret, affable et presque timide, il a toujours été l'ami de Matisse et a quelque peu vécu dans son ombre et dans son admiration. Peintre de la subtilité, de la couleur « tranquille », il sera classé dans la catégorie du fauvisme. Lui qui n'avait rien d'un fauve, ni physiquement, ni intellectuellement, ni picturalement. Et pourtant ! Albert Marquet va, pendant ces vingt-cinq années passées en Algérie (capitale Alger !), peindre très souvent. Bien que possédant une belle résidence sur les hauteurs de la ville, il loue un atelier en face du port d'Alger, pas très loin de la pension Venot, où il a fait ses débuts de peintre algérois. Marquet va peindre et repeindre inlassablement le port d'Alger, toujours avec cette subtilité, cette émotion, comme furtives, aériennes et éthérées. Sa technique « algéroise » va séduire les pensionnaires de la villa Abdellatif et dont certains sont ou deviendront des maîtres célèbres et marquants. Van Dongen, par exemple. Très vite, il sera considéré comme le fondateur de l'Ecole d'Alger, ensuite comme le fondateur de l'« arabisme » dans la peinture contemporaine. L'Algérie le consacre, bien qu'en Occident on continue à le consacrer - aussi - comme l'un des plus grands peintres du fauvisme, avec Van Gogh, Van Dongen, Gauguin et autres monstres de cette famille picturale. Cette école de l'« arabisme » n'a jamais été mise en valeur par les Algériens, après l'indépendance du pays. Comme ils ont négligé la villa Abdellatif qui est actuellement inutilisée. Ainsi, Albert Marquet n'a jamais trouvé sa vraie place. Peut-être parce que l'ombre de son ami Matisse l'a un peu caché ? Peut-être la nature et le caractère de ce peintre trop discret et fuyant les honneurs et les mondanités lui ont-ils porté préjudice ? Peut-être... Mais Albert Marquet a vraiment marqué la peinture contemporaine, autant que Matisse, dont il était si proche, surtout dans les Nus de Biskra, où l'interaction est évidente et les influences réciproques, criantes. Peut-être on peut appliquer à Marquet et Matisse cette phase de Picasso au sujet de Matisse : « Matisse a tellement regardé ma peinture et j'ai tellement regardé la sienne que nous nous sommes mutuellement copiés. » Matisse aurait pu dire cette phrase au sujet de Marquet, mais le côté « arabiste » de Marquet, sa « cartographie algérienne » : (Alger vu du bd Bru en 1941 ; Jardins d'Alger en 1942 ; Place du gouvernement en 1929 ; Port d'Alger en 1934 ; Port de Bougie en 1927 ; Nu au tapis oriental de Biskra en 1936 ; Mosquée de Laghouat en 1949...), en fait un peintre à part. Un peintre de chez nous et de nulle part... C'est-à-dire : M. tout-le-monde !

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