Ce n'est plus le voyage dans la tradition populaire qui est privilégié cette fois-ci par la troupe théâtrale El Moudja de Mostaganem, mais la quête d'une expression qui mettrait la psychologie de l'être humain au cœur de la scène. Pour ce faire, l'association culturelle dirigée par Boudjemama Djillali optera pour un texte étranger de Ray Brad Bury, déjà monté, rappelons-le, par le TNA dans les années 1980, et la troupe Tinhinan de Sidi Bel Abbès dans la moitié de la décade 1990. Quatre en un, le titre de la pièce, raconte le drame de 4 jeunes désœuvrés qu'un « costume » réunit. Ou plutôt désunit. Tout commence et tout finit autour de ce morceau de tissu « sur mesure » cousu pour nourrir d'abord les fantasmes d'une jeunesse exclue du bonheur lié à son âge ou à tout le moins, à tout ce qui a un rapport avec celui-ci. L'esprit du texte est dans l'ensemble respecté. Les éléments El Moudja ne s'en éloignent pas beaucoup et les quelques répliques empruntées au parler algérien dans ses déclinaisons populaires n'altèrent pas le fond de l'idée principale contenue dans le texte original. La pièce passe la rampe relativement bien, et les spectateurs de la maison de la culture auxquels elle était destinée suivent avec attention les péripéties de ces 4 jeunes en proie aux frustrations multiples. Néanmoins, le travail fourni par l'association El Moudja contient de grosses lacunes, en partie liées à la mise en scène ou plus exactement à la mise en condition de ces jeunes au bord de l'asphyxie. A suivre le spectacle, nous avons eu l'impression que chaque comédien avait créé sa propre mise en scène d'où « ces blancs » constatés ici et là, dans la progression d'une histoire commune pour les quatre dans son drame unique. Les éclairs de génie sont des éclairs individuels. Les touches sont des touches individuelles. Les trouvailles sont des trouvailles individuelles, notamment chez Boudjemaâ Hocine (Roukhou) qui, dans ce partage de tâches, arrive à émerger, à notre humble avis, de cette bande de quatre, qui soutient à tour de bras une mission (la mission d'interrelations psychologiques et de jeu) qui ne devait pas lui revenir. Du moins en première règle. Chez la troupe de Guelma, où c'est le registre de l'histoire qui est privilégié, le spectateur de la 38e édition du Festival du théâtre amateur, est convié, cette fois-ci, à lire l'épopée algérienne à travers le regard de l'artiste. Belle et noble expression que cette envie de dire à sa manière l'Algérie combattante dans ses résistances pathétiques et ses espérances rebelles, mais là, nous ne sommes plus dans la difficulté de dire, comme c'est le cas dans Quatre en un, mais dans la difficulté d'écrire. Il est en effet difficile de s'extraire de sa subjectivité, aussi bien par le texte que par le jeu, lorsqu'on parle des hommes-mythes et de ses sagas populaires fabuleuses, mais cette attitude ne peut en aucun cas excuser « des vérités » qui à la lecture de l'histoire n'en sont qu'à moitié vérité. L'imaginaire peut irriguer l'histoire mais ne peut la remplacer dans ses socles identitaires inébranlables, ses dates symboles et sa fixation du fait historique. El Fnar de l'Association guelmie, qui a un lien de parenté évident avec la pièce phare 132 ans, d'Ould Abderahmane Kaki, avait le souffle fort dans l'interprétation de comédiens fougueux, mais n'avait pas toujours l'éclairage suffisant de l'histoire authentique. L'autre reproche qu'on pourrait apporter, c'est cette envie quasi irrépressible d'allonger des situations si elles avaient été plus courtes, en tout cas, donner plus de vigueur aux rythmes de la pièce, plus de punch aux airs chantés et aux mouvements d'ensemble pour lesquels le metteur en scène a opté. Il est vrai qu'il est difficile de faire évoluer une quinzaine de comédiens sur une scène, mais c'est là une exigence incontournable du théâtre épique qu'aucune justification ne peut atténuer. Le modèle a ses normes et elles ne sont pas toujours solubles. L'épopée, c'est également l'intéressement au détail, au petit détail qui fait en fin de compte la différence, pour ne pas dire tout simplement le spectacle. El Fnar possède indéniablement les ingrédients du spectacle épique. ll reste à élaguer « toutes ces lubies du théâtre fourre-tout » qui ne peuvent qu'alourdir les bonnes et belles séquences jeu que le savoir-faire de quelques comédiens - et comédiennes ! - essaient de faire malgré tout aboutir et surtout apprécier dans la salle devenue, au fil des soirées, réfractaire aux spectacles qui s'étirent un peu trop. Un étirement pas toujours fructueux. Hélas !