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La folie des mots, l'enfer des autres
Publié dans El Watan le 28 - 07 - 2005

N'est pas poète qui veut. Etre poète, c'est tout simplement accepter d'intégrer le tragique et être à l'écoute des mots amers et ne jamais oublier que la machine à tuer est toujours là à guetter le simple geste de l'oubli, tout est bon pour servir sa haine et assouvir ses tentations macabres.
Quand la mémoire s'installe dans le confort de l'air du temps, non seulement elle n'aime pas être dérangée, mais elle devient vite aveugle et finit tout doucement dans l'ingratitude et la justification du crime. Bien sûr, il est très difficile d'accepter l'oubli, quand celui-ci équivaut l'agression qui lave les tueurs du jour au lendemain et fait table rase de toute une douleur vécue par des hommes voués corps et âme à la modernité et au changement, détachés de l'intérêt personnel immédiat. Pour les intégristes de tous bords, Youcef Sebti était un danger. Un homme à abattre. Les raisons sont multiples. Tout d'abord parce que Sebti était poète, c'est-à-dire un dieu libre qui inventait la vie et les mots. Dans l'enfer et la folie, il plonge le doigt dans les douleurs de l'âme et les bruissements de la déraison. Il rendait clair et intelligible ce qui ne l'était pas. Héraut de la vie et de l'amour, il mettait en relief les beautés les plus enfouies de l'homme. Dans l'empire des mots et des utopies, il fusionnait désir charnel et force divine et donnait un nouveau souffle de vie à l'imagination vivante et fertile, secouait légèrement le processus d'une formation collective déterminée à représenter à travers des mots nouveaux, ce qui est essentiel et tragique dans la vie humaine. Youcef était un homme à abattre parce que par son écriture violente à la folie, il minait la langue arabe de l'intérieur pour la faire parler de toutes les extravagances sans réserve aucune. Youcef gênait aussi parce qu'il était francophone et universel de culture et de parcours c'est-à-dire un homme à l'antipode de l'archaïsme. Un homme acquis à la modernité à sa façon, une modernité capable de prendre en charge la culture autochtone et les acquis de l'histoire. Tout simplement, il gênait parce qu'il prônait un regard neuf et plus ouvert de la culture arabe qui s'était cloisonnée dans un système de reproduction et de mort lente. Une seule de ces « accusations » suffisait à le « faire taire ». Dans les moments de répit du quotidien, le bruit sourd de sa petite Ritmo, qui essaye de stationner en bas de l'immeuble à Bab Ezzouar, bourdonne toujours dans mes oreilles comme une abeille cherchant à s'accrocher sur une fleur. Une Ritmo couleur ocre foncée pas loin de celle d'une journée algéroise des années 1990 sous un brouillard de vent de sable. Rym, ma fille, court instinctivement tout droit vers la fenêtre : « C'est tonton Youcef. » J'ai encore le bruit espacé de ses pas légers qui escaladent d'une manière anarchique et avec peu d'assurance les escaliers de l'immeuble. Essoufflé devant la porte, il demande comme à son accoutumé un verre d'eau et c'est Rym qui le sert. Et puis à Zineb, il dit : « Comme d'habitude. » C'est-à-dire un verre de petit lait bien frais et un morceau de pain, comme nos vieux paysans d'antan. Il raconte les déboires de la journée. On confectionne ensemble le programme de la Djahidhia avant de se laisser aller dans la poésie qui lui manquait beaucoup. « Il y a quelque chose qui manque à ce pays, un grand poète, un vrai. Les gens n'écrivent plus de poésie. Même Kateb Yacine a été kidnappé par le roman. L'absence de poésie vide l'âme de sa substance fondamentale. Il faut insister pour que la poésie retrouve sa place d'antan. » C'était l'époque où l'on pouvait encore rêver. A l'écouter parler, Sebti était à la recherche de quelque chose qu'il n'avait jamais résolu de son vivant et qui rendait sa parole si amère et si triste. « Il y a quelque chose de terrible, d'indéfinissable qui traverse notre culture. Au début, je croyais que c'était un problème de langues qui n'arrivent pas à s'installer et être assumées dans un pays qui se refuse à tout compromis, mais le problème est pire que ce que je croyais. La sphère arabophone, que j'ai côtoyée durant ces dernières années, m'a démontré que les choses n'étaient pas tellement différentes de celle de l'autre sphère linguistique. Il y a une telle force de refus que ça risque de devenir à moyen terme très dangereux. Dans les deux cas, c'est l'ignorance de l'autre qui sévit. Le problème est dans le système de pensée et non dans les langues. » Un mois avant son assassinat, je l'ai rencontré à la montée de Didouche Mourad, presque en face de la librairie El Ghazali. Les journées de l'automne lourd rendaient sa montée difficile. Il avait déjà perdu son sourire moqueur qui ne disait les choses qu'à moitié, juste de quoi réveiller les curiosités dormantes. Il marchait à peine avec son petit cartable qu'il laissait suspendu sur son dos comme un cartable d'écolier, juste une ombre noircie par l'amertume et le désespoir. « Ecoute, je crois que l'internement était plus clément que cette ingratitude scélérate et injuste. J'ai décidé de quitter la Djahidhia. Dans ce pays, le problème n'est pas seulement linguistique, il est plus grave encore. La mentalité de l'homme rural et celle du forgeron sévissent dans toutes les sphères de la société. Il ne faut pas s'attendre à quelque chose d'énorme pour demain. Je m'éclipse de cet espace, il n'a plus rien à m'offrir de différent de ce qui se fait politiquement ou culturellement. » Sebti disait une douleur inquiétante et très profonde. Une déchirure inguérissable. Une grande déception difficile par rapport à un espace qui n'offrait plus d'alternative. Le sentiment du déjà vu le rendait très malheureux. Sebti a vécu longtemps poétiquement. Il a traversé plusieurs générations de poètes et partagé leurs inquiétudes ; celle de Mohammed Dib, Malek Haddad, Bachir Hadj Ali, Jean Sénac et Kateb Yacine, celle de Rachid Boudjedra, celle de Tahar Djaout, Abdelali Razagui, Zineb Laouedj, Ahlam Mosteghanemi, et même celle des années 1990 sans toutefois pouvoir voir émerger cette saveur de bonheur tant attendue ; toujours cette douleur incessante en filigrane, masquée par la chaleur des mots. Sebti dans son travail théorique avait divisé le parcours des peuples en plusieurs étages, celui de l'homme primitif, le cultivateur, en passant par le forgeron avant d'atterrir sur l'homme automatique. Il est arrivé à installer une vision dans laquelle se regroupaient toutes les évolutions de notre pays et toutes nos pratiques répétées. En conclusion, il découvrit qu'on reste cloisonné entre le primitif et le cultivateur sans pouvoir effleurer l'homme automatique, c'est-à-dire celui de la modernité parfaite. Le passage entre étapes n'étant pas réglé et trop brouillé, on reste tributaire de l'archaïsme. Il rejoint dans son analyse de l'intellectuel, toute proportion gardée, Gramsci dans ses divisions de l'intellectuel de type rural et l'intellectuel de type urbain. Le premier est en grande partie traditionnel, c'est-à-dire très lié à la masse sociale paysanne qui n'a pas été transformée et mise en mouvement par le système capitaliste. Alors que le second s'est développé en même temps que l'industrie. Les intellectuels de type urbain sont très standardisés et irriguent constamment la machine industrielle. Sebti savait, mieux que quiconque, qu'il était menacé depuis le jour où il a fait un choix contraire aux aspirations intégristes. Il savait que la mort le guettait, lui qui partageait une chambre avec plusieurs habitants, juste sur le flanc gauche du cimetière d'Al Alia. Il savait aussi que l'internement psychiatrique l'attendait au bout du chemin, il en avait fait l'expérience amère. « Ils diront toujours de moi, si je ne suis pas abattu dans une rue isolée, l'internement était inévitable. Il était devenu dangereux pour l'équilibre social de la société. » Ces inquiétudes ne l'ont pas empêché de garder dans ce décor macabre de vie quotidienne une réplique d'un tableau de Francis Goya Les Fusillés, suspendu au-dessus de son lit. C'est ce même tableau qui a couvert son petit corps léger de poète déchiqueté par les lames des tueurs. N'était-ce pas là le destin tragique du poète ? N'est pas poète qui veut. Les élucubrations n'ont rien à voir avec la réalité sombre qui frôle la folie, de ceux qui souffrent de l'indicible et cette douleur indéfinissable. Une poésie taillée à la mesure de l'homme tout court. Comme disait Malek Haddad dans Le malheur en danger (p. 26) :
« Chez nous, le mot patrie a un goût de colère. »


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