L'ex-chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, a été hier l'invité de l'UGEL à son université d'été à Boumerdès où il a animé une conférence sur « Les réformes à l'ombre de la mondialisation ». M. Hamrouche a fait un long discours sur la globalisation expliquant qu'avec le développement des moyens de communication et les progrès technologiques, les frontières disparaissent au profit de l'Occident, aidé en cela par la souplesse de ses systèmes économiques. « Le monde a certes pris un mauvais tournant avec l'évaporation d'aspirations et l'effacement d'intentions aussi bonnes que celles des pays non alignés. On aspirait dans ce bloc à un ordre mondial juste, mais aujourd'hui nous sommes dans un système brutal qui ne fait de place qu'aux riches et aux plus forts. Heureusement que face aux puissances économiques occidentales se dresse une conscience citoyenne universelle autour de laquelle se cristallise toute une opposition à cette hégémonie. » « Toute l'arrogance des Etats-Unis qui, dans une certaine mesure, mènent le train de la mondialisation, est fondée sur leur force qui est à la fois militaire, économique, financière, technologique et scientifique. Avec un point faible cependant : l'énergie. Si celle-ci fait défaut, c'est la ruine. D'où cette sorte de néocolonialisme qui pousse les Etats-Unis à aller chercher le pétrole en dehors de leurs frontières. Surtout que ceux qui possèdent les hydrocarbures n'ont pas les moyens de les protéger », a expliqué M. Hamrouche. L'ex-chef de gouvernement estime : « L'ouverture imposée par la mondialisation a provoqué une catastrophe en négligeant l'élément humain. » Il explique qu'il y a trois intervenants dans cette dynamique de mondialisation, à savoir les Etats représentés par leur gouvernement, les multinationales et l'opinion publique mondiale exprimée par les ONG et autres associations. « Les multinationales ne sont soumises aux lois d'aucun pays. Ce sont elles qui imposent et décident du genre de relations qui doivent s'installer entre les gouvernements. Et comme la plupart de celles-ci se trouvent sous l'influence des Etats-Unis, il demeure que ce sont ces derniers qui mènent le monde, suivis de l'Europe, de la Chine et de l'Inde. Encore que les Européens sont un peu bousculés par les Asiatiques. » « Les multinationales rétrécissent les champs de liberté, d'indépendance et de souveraineté des pays et ne sont mues que par le gain, ne se souciant ni des ressources qui ne sont pas renouvelables ni des effets néfastes de leurs exploitations sur la planète. Cela induit un conflit entre elles, d'un côté, les gouvernements et les populations, de l'autre », a encore déclaré M. Hamrouche. Pour bien prendre le train de la mondialisation, le conférencier recommande « beaucoup de liberté au sein des sociétés, de l'éducation et une organisation sociale ». Il faut aussi une forte dose de conscience de la composante de l'identité nationale. Seul un peuple organisé peut influencer les décisions de son gouvernement, a dit Hamrouche. « Alors même que le premier rôle de l'Etat et du gouvernement doit être de rassurer le citoyen, en Algérie le citoyen ne se sent nullement protégé. Ce qui s'appelle une rupture de confiance. » Pour M. Hamrouche, la mondialisation est une dynamique impliquant beaucoup d'éléments, mais qui n'impose rien. « C'est plutôt une question de réflexion et d'adoption. Pour mieux l'assimiler, il faut œuvrer à trouver les armes adéquates », a-t-il dit. « J'ai moi-même refusé l'adhésion de l'Algérie à l'OMC. J'ai proposé le marché algérien à la vente puisque nous n'avons rien à exporter vu que notre économie est fondée à 85% sur les importations », a ajouté M. Hamrouche. Pour lui, « la seule protection du citoyen réside dans sa liberté, sa prise de conscience et son instruction puisque seul un homme instruit peut s'adapter ». LIBERTÉ ET PRISE DE CONSCIENCE Face à l'exploitation des forces économiques et politiques occidentales, qui dépossèdent les pays pauvres jusque de leurs cerveaux, l'ex-chef de gouvernement préconise trois solutions : « Rebâtir nos réflexions sur le principe des libertés ; protéger ces libertés par la science et le savoir et s'opposer à toute interdiction de les exercer. » Sur le plan économique, M. Hamrouche recommande une « économie de solidarité » qui doit tenir compte de l'environnement et de l'homme et qui préserve les ressources non renouvelables. Un système économique où tout travailleur doit être payé en fonction de son rendement. Mais surtout une économie où le responsable doit rendre des comptes : « Le problème des sociétés musulmanes d'une manière générale, c'est cette quête permanente d'un “houkm rache“, une utopie poursuivie depuis l'époque de Omar Ibn El Khettab. Mais le “houkm rached“ (la bonne gouvernance) exclut toute idée de compte à rendre », a expliqué le conférencier. M. Hamrouche estime qu'entre l'islam et la mondialisation, il n'y a pas de conflit. « Le problème qui se pose, c'est l'incapacité des musulmans d'être à la hauteur des exigences de cette dynamique », a-t-il dit. Les Arabes et les musulmans doivent s'instruire davantage et s'armer de savoir, a-t-il recommandé. Interrogé sur les réformes menées actuellement par le Pouvoir, M. Hamrouche dira : « Celles programmées il y a quinze ans sont dépassées par la dégradation socioéconomique du pays. Nous avons, au début des années 1990, projeté d'offrir aux citoyens les moyens de leur émancipation avec l'ouverture médiatique et tous les espaces d'expression partant du principe que l'homme, né libre, doit vivre libre. Et sachant qu'un homme libre est moins exposé à l'erreur. » Pour lui, « la répression est la source de tous les maux ». Au sujet de la relance économique du gouvernement en place actuellement, il explique : « La règle économique voudrait qu'un dollar investi en rapporte dix à quinze. Si maintenant on peut multiplier les 50 millions de dollars mis dans ce chapitre par 15, c'est bien. » A une question relative aux libertés dans notre pays, l'ex-chef de gouvernement a répondu : « La situation est déplorable. Le peu de progrès réalisé après 1998 a été laminé et la société étouffe actuellement. Il n'y a plus d'espaces d'expression. Et nos préoccupations en tant qu'Algériens sont débattues sur des plateaux de télévision étrangers. Les Algériens sont malades de leurs gouvernants. » Au demeurant, M. Hamrouche ne conçoit pas de réformes efficientes sans liberté, sans instruction et sans organisation sociale. Elles doivent épouser les contours de la mondialisation.