L'ex-chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, a été hier l'invité de l'UNEA qui tient son université d'été à Boumerdès pour animer une conférence sur « Le rôle de l'université dans la construction sociale ». Mais le candidat à l'élection présidentielle de 1999, qui s'était retiré en compagnie d'autres candidats la veille du scrutin, laissant l'actuel chef de l'Etat seul dans la course, ne pouvait ne pas franchir les limites d'un laïus académique afin de déborder sur des questions de gouvernance, de politique nationale et internationale. C'est ainsi que M. Hamrouche n'ira pas avec le dos de la cuillère pour asséner, lors d'un point de presse organisé à l'issue de son intervention, que « toute la politique que mène le régime actuellement n'arrive pas à se concevoir en dehors de la sphère de l'échec ». Ce qui n'autorise aucun espoir, signifie-t-il, insistant que « tant qu'on reconduit les mêmes procédés avec les mêmes moyens, il faut s'attendre aux mêmes résultats ». C'est pour cela que tous les projets de réforme que mène le pouvoir tambour battant n'incitent guerre à l'espérance, considère-t-il. Car pour Mouloud Hamrouche, bien que « la solution peut émaner de l'intérieur du système », il faut toujours s'astreindre « aux règles démocratiques, à la transparence dans la gestion des affaires du pays ». Le verrouillage qu'a opéré le pouvoir « a freiné les réformes, laminé la classe politique dont les partis sont réduits à des appareils sans rôle majeur dans la construction du pays ». « Même le FLN, à l'image des autres formations politiques, affaibli par des luttes intestines, n'est plus en mesure de remplir toutes les missions qui lui échoient. Et l'échec du système représente la faillite du FLN », a-t-il déclaré. Concernant la charte pour la paix et la réconciliation nationale, M. Hamrouche estime que les propositions du texte ne remettent pas en cause l'impasse dans laquelle se débat le pays. Il trouve, en revanche, que la révision constitutionnelle que prône le FLN « peut être intéressante si elle apporte quelque chose qui puisse nous faire sortir de l'impasse. Si elle ne vise pas à perpétuer le règne d'une personne, d'un clan ». Interrogé sur la déclaration du patrimoine que vient d'effectuer le prédécesseur de Belkhadem à la chefferie du gouvernement, Ahmed Ouyahia, M. Hamrouche, qui considère qu'il y a un gouffre entre les gouvernants et les gouvernés, a répondu : « Sans vouloir polémiquer, je trouve qu'il est très bien que des gens le fassent. Mais tout continue à se faire dans la sphère de la crise. Voilà ce qui rend toute initiative sans impact. Dans notre pays, il n'existe pas une administration fiscale. Ce qui fait que le patrimoine ou de telles déclarations ne peuvent être ni vérifiés ni vérifiables. » Là où Mouloud Hamrouche risque de surprendre ceux qui ont crié victoire juste après les amendements annoncés, c'est bien au sujet de la loi sur les hydrocarbures. Car il déclare que « telle qu'elle avait été énoncée, elle renfermait beaucoup de points positifs, marquant ainsi un progrès certain, notamment dans le volet transparence et contrôle. Mais les modifications introduites n'ont pas touché aux points négatifs, et nous allons par conséquent avoir moins de transparence ». Dans sa conférence sur l'université et lors du débat qui a suivi son intervention, l'ex-chef de gouvernement a plaidé pour une « indépendance totale de cette institution afin qu'elle puisse jouer son rôle de moteur dans le développement ». « L'université doit être une sorte de laboratoire ; elle doit porter un regard scrutateur sur tous les aspects de la vie. C'est à l'université que s'initient et mûrissent toutes sortes de débats. C'est l'université qui invente, qui fait des recherches. Et tout passe par l'université. La science, la technologie, la recherche dans toutes ses dimensions, y compris dans le domaine de la stratégie militaire et le renseignement. Tout se fait à l'université. Avant les formations politiques, l'université doit être la première à analyser le programme d'un candidat à la présidentielle par exemple. Voilà pourquoi il faut en avoir une des plus performantes », a dit, en substance, Mouloud Hamrouche. Quant à la réforme que l'on prétend opérer dans ce domaine, le conférencier la voudrait rationnelle : « Nous ne sommes pas en mesure d'inventer dans ce domaine et il n'y a aucun complexe à imiter d'autres systèmes dans le monde qui ont fait leurs preuves. Mais il faut bien identifier la référence. Et qui gagne la bataille du savoir, gagne toutes les guerres », dira-t-il. Tout en invitant les étudiants venus nombreux l'écouter à faire preuve de tolérance et d'ouverture d'esprit pour consolider l'unité nationale, il rappellera que cette institution a la charge de former l'élite. Par conséquent, il lui assigne trois missions fondamentales dans le court terme : atteindre un niveau performant ; pouvoir analyser profondément la société et le pays et tisser des relations entre les étudiants de tout coin du pays afin de briser les clivages et le régionalisme. Abordant la crise du Liban, M. Hamrouche a dit que « c'est pour la première fois qu'un mouvement de résistance, le Hezbollah, fait véritablement usage de l'art de la guerre. Il a gagné les batailles militaire, diplomatique et médiatique. Celle-ci dans ses trois missions, à savoir l'information, l'espionnage de l'ennemi et l'influence de l'opinion publique adverse. Dommage que dans nos sociétés, on s'attache trop aux individus, mais derrière Nasrallah il y a tout un panel d'experts qui ont rendu possible la victoire ». L'ancien chef de gouvernement a plaidé pour « le droit de l'Iran de posséder l'arme nucléaire, puisque le fait de la détenir interdit son usage et par le pays détenteur et contre lui », tout en admettant : « Il y a une dose de vérité dans les assertions selon lesquelles il faut un régime démocratique pour prétendre à cette sorte d'armement » et a usé de ces crises pour illustrer son opinion qu'« il est attendu de l'université d'être le moteur de développement, elle qui est censée fabriquer en permanence de l'intelligence ». Mouloud Hamrouche n'hésite pas un instant à déclarer qu'il voit de l'échec partout, mais se refuse à formuler des propositions concrètes de sortie de crise. « Il faut premièrement et avant tout sortir de la spirale de l'échec pour ensuite lancer un véritable programme de refondation de la vie politique nationale », soutient-il. Comment justement sortir de cette impasse ? L'ex-candidat à la présidence de la République répond qu'il ne peut rien proposer à l'heure actuelle. Attend-il qu'il soit élu à la magistrature suprême du pays pour se lancer dans un autre programme de réformes, lui qu'on a qualifié d'« homme en réserve » de la République ?