Avec une belle assurance, un sérieux monacal, les pouvoirs publics annoncent une nouvelle riposte contre le gaspillage. La résolution peut faire sourire, susciter des haussements d'épaules ou une royale indifférence. Le citoyen repu de promesses sans lendemain, gavés de discours lénifiants, a choisi de ne plus prêter foi à des intentions qui ne résistent pas à l'épreuve des faits. Le règne de la gabegie a trop duré, occasionnant moult préjudices moraux et matériels. Se résoudre à en faire le tour, c'est se condamner à s'aventurer au cœur même de l'absurde, de l'insupportable. Rien de ce qui choque, bouscule et heurte l'entendement ne sera épargné. Le gaspillage, c'est ce qui se fait de mieux chez nous. Un sacerdoce et une vraie philosophie. Il n'y a là nul excès. Pour s'en convaincre, si tant est que ce besoin se fait sentir, il suffit de jeter un coup d'œil sur ces belles terres agricoles, opulentes et généreuses, stérilisées et pétrifiées à jamais par des coulées de béton infamantes. Alger, « la bien-gardée » selon une antique croyance, ne résista pas aux coups de boutoir d'un gaspillage sidérant. Sur ce registre-là, la capitale n'a rien à envier aux autres villes et villages de notre territoire national. Partout, la même folie furieuse, la même frénésie, un seul et unique entêtement à vouloir tout cramer, démolir sans répit ni rémission. Le moindre quidam, disposant d'une infime parcelle de décision, se découvre subitement une âme paillarde, dispendieuse à souhait. Une mentalité de flambeur bon teint que rien ni personne ne peut ramener à la raison. Quand l'argent coule à flots, mieux vaut le jeter par les fenêtres. C'est tellement commode. On ne veut pas démoraliser le moral des troupes, mais il faudra plus qu'une détermination et une volonté ferme pour venir à bout d'une plaie purulente. Un miracle de la providence ou un décret céleste, tant les habitudes sont bien enracinées. L'espoir est mince, mais il fait vivre. C'est toujours ça de gagné.