Sur l'écran du 58e Festival de Locarno, on voit des courses de chevaux, des poursuites, des duels, des personnages frustrés mais braves. On passe au cinéma du passé. Aux westerns de John Ford ou de William Wyler. Mais cela se passe au Maroc, et le film (pseudowestern) est celui de Boualem Guerdjou : Zeïna, cavalière de l'Atlas. Il faut tout de suite admettre que c'est un film nul. A l'évidence, le réalisateur algérien émigré en France n'a rien appris des maîtres du genre. Ce film présenté en compétition à Locarno est d'un ennui mortel, comme les pires feuilletons du Ramadhan. A côté de cela, le même festival pourtant nous a gratifiés d'un chef-d'œuvre le même jour : Le Prince qui contemplait son âme, du cinéaste tunisien Naceur Khemir. Inspirée des poèmes soufis d'Ibn Arabi, Rumi, Ferdoussi, et filmée avec une maîtrise envoûtante, cette œuvre raconte le voyage au Sahara d'un dervich accompagné de sa petite-fille. Conte magique. Portrait éblouissant du désert et de ses légendes. Le travail magnifique de Naceur Khemir (mise en scène, décor, musique) sollicite pleinement l'attention des spectateurs. De quelle poésie spectaculaire l'écran, les images, ne sont-ils pas rempli ! Naceur Khemir a déjà acquis l'étoffe d'un savant et délicieux conteur dans ses films précédents, notamment Les Baliseurs du désert, Le Collier perdu de la colombe. Au théâtre, cet artiste a créé des spectacles sur Les Mille et Une nuits. Il est aussi dessinateur, sculpteur et calligraphe. Ce n'est pas le seul mérite du Festival de Locarno, il a aussi présenté (en séance unique hélas) ce film d'un goût exquis. Brillante illustration de ce que peut faire un cinéaste du Maghreb, quand on met les moyens à sa disposition. Autre moment fort de Locarno : la projection du film indien sur la révolte des Cipayes en 1857 contre la compagnie des Indes, The rising, Ballad of mangal pindey, du cinéaste Ketan Mehta, avec la star de Bollywood Aamir Khan. Récit éthique de la première guerre pour l'indépendance du pays qui sera acquise 90 ans plus tard en 1947. Comme tous les films de Bollywood, celui-ci est très accessible aux foules, et à Locarno, il reçut un accueil délirant comme Laagan, quelques années auparavant. Sans omettre les motifs sérieux, historiques de son film (cette révolte contre les Anglais, premier acte du soulèvement du peuple indien tout entier, hindous et musulmans), Ketam Mehta ne s'est pas privé du plaisir très agréable de mettre des séquences de ballets vertigineux, de chants et de danses avec Aamir Khan, qui joue dans une partition proche du vertige. Chaque matin à Locarno, on peut voir aussi la rétrospective d'Orson Welles. Sans lui, on se demande ce qui resterait du cinéma américain. C'est comme si on enlevait Eisenstein au cinéma russe ou Satyajit Ray au cinéma indien. Aucun film américain probablement n'a atteint la hauteur de Citizenkant, La Splendeur des Amberson, Othello, Macbeth, Le Procès ou La Dame de Shanghai... A propos de Welles, chaque matin, il y a ici des conférences, des éloges. On brade ici ou là, autour d'un mythe, autour d'une carrière à la fois merveilleuse et rocambolesque. Mais qui ressuscitera le génie bouillonnant qui est mort entouré de rares amis, alors que les studios refusaient obstinément de lui donner le moindre budget. Trente-huit pays participent au 58e Festival de Locarno, y compris les pays du Maghreb. Est prévue notamment une approche du cinéma algérien avec la participation de Mohamed Chouikh, Belkacem Hadjadj et Brahim Tsaki. L'Italienne Irene Bignardi, qui a dirigé le festival pendant cinq ans, quitte son poste.Journaliste au quotidien de Rome La Républica, elle a marqué le festival de son style, de son engagement politique progressiste. Son équipe a fait preuve d'une irréfutable liberté dans le choix des films. Même si cette année, ce fut une erreur extrême de montrer ce dont Guerroudj et ses commanditaires marocains devraient plutôt rougir.