Quand le mois d'août revient, on sait qu'il y a un seul endroit où il faut être : Locarno, sur les rivages suisses du lac Majeur. La ville tessinoise est enfouie sous les hautes silhouettes des sommets des Alpes et entourée de somptueux paysages. Chaque mois d'août à Locarno, on retrouve les voyageurs venus parfois, d'Asie, d'Amérique, pour assister au Festival international du film. Grande attraction pour les Suisses aussi et les simples touristes venus pour les charmes de la ville, pour ses musées, son casino et ses rives du lac ! A une courte distance, en train, on peut aussi aller visiter Lugano pour jouir des paysages qui entourent son lac, se promener dans ses jardins fleuris. Deux stations balnéaires, chacune avec son lac, qui se jalousent et qui attirent beaucoup de monde. Il suffit de voir l'effervescence qui règne dans les gares et les longues files de voitures sur les routes. Cela tranche avec le calme et la sérénité de l'été suisse. Locarno, qui a organisé cette année son 59e Festival du film réunissant des œuvres venues du monde entier, (à signaler qu'à la dernière minute, le Festival de Locarno, comme celui de Dublin en Irlande et celui d'Edimbourg en Ecosse, a refusé les films d'Israël, suite au déclenchement de l'agression sioniste contre le Liban), possède une vieille ville, au cœur de l'agglomération urbaine, qu'on peut arpenter sans se lasser à travers des ruelles fraîches et plaisantes. C'est dans cette partie ancienne de la ville qu'on trouve la ravissante Piazza Grande, cœur du festival, plus grande salle de cinéma en plein air d'Europe. Jusqu'à 800 spectateurs peuvent se tenir devant l'écran géant pour voir chaque soir le programme du festival. On se précipite à 21 h vers la Piazza Grande pour ces séances... spectaculaires. Sauf les soirs où il pleut et où on embarque les spectateurs pour les déposer en autobus à l'extérieur de la ville, à la Sala Fevi, immense salle de sport transformée en salle de cinéma. Passer l'été à Locarno, c'est très onéreux. Sauf si on est l'hôte du un festival international du film qui invite très généreusement les journalistes des grands quotidiens internationaux (comme El Watan), le séjour sur les rives du lac Majeur (côté suisse) serait exorbitant. La Suisse est connue pour être 50% plus chère que la plupart des pays européens. Tout en Suisse est hors de prix pour les visiteurs, sauf si on a un compte en banque (suisse) bien fourni. Et à Locarno, comme c'est l'été et la période du festival, les commerçants pratiquent les prix les plus forts. Pourtant, souvent à Locarno et à Lugano, aux bords des deux lacs, on croise des familles nombreuses venues du Golfe, en tenue vestimentaire stricte et noire. Les hommes marchent devant. les femmes derrière. Et encore derrière, une prolifération de gosses entourés de servantes. Des émirs du Golfe venus profiter de leur tas d'or enfoui dans les banques suisses… Une journaliste d'un quotidien suisse a posé la question : l'argent qui coule à flots chez certaines familles du Golfe ne peut-il pas aussi venir en aide aux Libanais et aux Palestiniens dans la détresse actuelle ? Cela après avoir rapporté qu'un « cheikh » de quelque minuscule émirat est entré dans une bijouterie suisse et a raflé pour 600 000 francs suisses de bijoux… Les Suisses eux-mêmes, avec un haut niveau de vie, n'ont guère la fibre dépensière. Cette histoire leur paraît hallucinante. Cela dit, toute proportion gardée, à Locarno, il y a un certain art de vivre, un standing à respecter. Les voitures rutilantes, les habits choisis avec grand soin témoignent d'une certaine aisance ambiante. Sur les rivages du lac Majeur à l'eau turquoise, et où il est possible de se baigner, il y a pourtant aujourd'hui un soupçon d'inquiétude en l'air. La situation des grands hôtels de Locarno clignote au rouge. Non pas du fait qu'il y a peu de touristes argentés. C'est le contraire. mais leurs propriétaires préfèrent les vendre à des spéculateurs qui les transforment, comme sur la Côte d'Azur, en résidences luxueuses. Il paraît que ça rapporte infiniment plus au vu du prix du mètre carré à l'emplacement idéal avec vue sur le lac. C'est ainsi, hélas, que les palaces de Locarno disparaissent les uns après les autres : Reber au lac, Beau rivage, Muralto, Grand hôtel. Tous ont été vendus ? Le plus triste dans l'affaire pour le festival, c'est la fermeture du Grand hôtel. Le festival est né en effet en 1946 dans ce très bel édifice du style belle époque, avec ses salons immenses et ses jardins. Bien plus tard, la Piazza Grande a pris la relève. Le Grand hôtel de Locarno était aussi un bien historique. C'est là qu'eut lieu, en 1925, la grande conférence internationale pour la révision du traité de Versailles (1919) : il s'agissait de faire respecter la démilitarisation de la Rhénanie par l'Allemagne. Mais en mai 1936, Hitler réoccupe la Rhénanie et rend nuls les accords signés au grand Hôtel de Locarno entre les ministres des Affaires étrangères d'Allemagne, d'Italie, de France, d'Angleterre et de Belgique. Cette disparition des palaces rend tristes les habitants de Locarno et transforme le paysage des rives du lac. Le festival, cette année, a été contraint d'organiser des navettes entre Locarno et la ville voisine d'Ascona, qui a gardé ses « cinq étoiles », pour loger les invités et pour organiser les réceptions. Dans le petit port de Locarno, il y a toujours des bateaux en partance pour les rives italiennes du lac Majeur. On peut choisir d'aller visiter l'archipel des célèbres îles Borromées : Isola Bella, Isola dei Pescatori, Isola Madre. La quatrième île, Isola San Giovanni, est privée, pas accessible au public. La beauté intacte de ces îles, leurs palais anciens, les jardins se prêtent idéalement à la « dolce vita ». C'est ici que Fellini aurait dû faire son chef-d'œuvre. Au retour, le bateau fait escale à Stresa, autre bijou touristique, avec ses jardins de palmiers au milieu d'une végétation luxuriante. Retour à Locarno, un orage s'annonce menaçant. Les autobus déjà attendent les spectateurs, en cas de pluie…