A la fin des années soixante du tout récent XXe siècle, le western s'essoufflait en tant que genre majeur et il aurait sans doute disparu sans l'apparition fulgurante de cinéastes américains aussi novateurs que Sam Peckinpah ou Arthur Penn qui avaient su lui donner son caractère magistral avec des chefsd'oeuvre comme Major Dundee ou Little Big Man. John Ford, grand maître en la matière, avait donné son testament avec Les Cheyennes, western sépulcral, où s'affirmait une part de désillusion sur une conquête de l'Ouest qui avait été une tragédie coloniale pour les Indiens d'Amérique. A la même époque, l'Europe s'aventurait à une réappropriation de ce genre en déclin et de ses mythologies toujours vivaces dans l'imaginaire de millions de spectateurs dans le monde. Le réalisateur italien qui avait excellé dans le péplum avec son légendaire film Le colosse de Rhodes décide de se consacrer à ce genre, inventant dans la foulée le western spaghetti auquel il saura donner, le temps de la dérision passé, des titres aussi grandioses qu'Il était une fois la Révolution ou Il était une fois dans l'Ouest. Le cinéma n'était en fait pas pensable sans le western, y compris dans le régions du monde les moins éligibles à en entretenir le culte. C'était au cours de ces années soixante le cas de l'Autriche qui révélera, avec Harald Reinl (1908-1986), un réalisateur qui sut prendre à contre-pied les idées reçues en construisant une nouvelle variante du western européen dont la proche Italie avait voulu s'attribuer une sorte de monopole. Au pays de Sissi, le cinéaste-scénariste Harald Reinl avait jugé qu'il y avait de la place pour un Appache, un guerrier qui nourrit des vertus de l'humanisme, se consacre à faire oeuvre de justicier. Cet Indien charismatique c'est Winnetou, personnage que Harald Reinl a fait vivre dans de nombreux films, dont Le trésor du lac d'argent - que vient de diffuser la chaîne Arte - constitue la synthèse. Avec Winnetou I, II et III, le cinéaste autrichien a élaboré une véritable fresque dans laquelle justice est rendue autant aux traditions indiennes qu'au respect de la nature à travers ce qui s'apparente déjà à un éveil écologique. A côté de Pierre Brice, interprète de nationalité française de Winnetou, figure le légendaire Lex Barker (1919-1973), popularisé à l'écran avec le rôle de Tarzan. Cet acteur américain était voué malgré la longévité du personnage de Tarzan à être confiné dans les seconds rôles et les séries B. Il fut de ceux qui tentèrent de se redéployer en Europe et de relancer leur carrière avec des réalisateurs dénués de préjugés. On verra Lex Barker dans nombre de films de plus ou moins bonne facture, les plus importants étant Le Docteur Mabuse et La Dolce Vita. Dans la série des Winnetou, Lex Barker, héros vieillissant, est un convaincant Old Shterland qui rappelle aux spectateurs les figures d'Alan Ladd et de William Holden. L'oeuvre de Harald Reinl peut tout à fait être prise au sérieux aujourd'hui, car les Winnetou ne sont pas réductibles à une démarcation du western. En fait, ces films sont nés à la confluence d'une mondialisation déjà en prémisse et qui portait à des remises en question par les cinéastes américains euxmêmes du statut du western. Des figures de proue telles que King Vidor, Anthony Mann ou Nicholas Ray s'en étaient éloignés pour aborder des reconstitutions historiques en totale rupture avec le sillon originel. Le western en se délocalisant s'affranchissait des frontières que lui avait assignées la civilisation américiane née des violences de la conquête de l'Ouest. L'Europe avait procuré de nouveaux territoires à un genre qui tombait en désuétude en Amérique où le cinéma allait vouloir prendre la mesure du conflit avec le Viet-Nam. Le western devenait donc allemand, autrichien, espagnol ou italien et même en Algérie il se tourna un pastiche, Trois pistolets contre César, qui ne rentrera pas dans l'histoire du cinéma autrement que comme une pantalonnade sans consistance. On ne peut évidemment pas dire cela des films de Harald Reinl qui valent d'être revus et étudiés comme des éléments de la mémoire cinématographique et tout à fait dignes de figurer, à ce titre, au programme de n'importe quelle cinémathèque du monde.