L'embuscade meurtrière qui a visé, il y a dix jours, une patrouille de la Gendarmerie nationale à Tidjelabine, faisant deux morts et sept blessés, montre que le GSPC reste en possession de ses capacités de nuisance, notamment dans l'axe Boumerdès-Tizi-Ouzou-Béjaïa, où se trouve son QG. Selon des sources sécuritaires, l'attaque a été menée par trois groupes composés d'une quarantaine de terroristes, venus de Zbarbar, Thenia et de Khemis El Khechna et dirigés par Saâdaoui, l'émir de Thenia. Armés de kalachnikovs, de fusils de chasse et de deux RPG (roquette propulseuse de grenades), les terroristes ont d'abord lancé une première roquette sur le véhicule blindé de la gendarmerie, qui a pris feu tuant sur le coup deux de ses occupants et blessant grièvement deux autres, avant que les tirs de kalachnikov visent les autres membres de la patrouille qui ont longuement riposté, ce qui a fait reculer les assaillants. Ces derniers n'ont pu descendre du haut de la falaise où ils étaient embusqués pour accaparer les armes de leurs victimes. Ils ont pris la fuite dès l'arrivée des renforts. Cette opération prouve que les réseaux de communication du GSPC sont toujours en fonction en dépit des nombreux coups assenés par les services de sécurité dans cette région où sont recherchés, selon des sources sécuritaires, pas moins de 230 terroristes, dont le noyau dur est composé de 90 activistes. Ces éléments sont répartis en plusieurs groupes dépassant rarement la vingtaine. C'est à Thenia que le plus important (une quinzaine d'éléments) et le plus dangereux des groupes est installé. Il est dirigé par le sinistre Saâdaoui et évolue entre Zemmouri, Bordj Menaïel, Baghlia et Lakhdaria. Selon nos interlocuteurs, le groupe de Dellys serait composé d'une dizaine de terroristes et celui de Baghlia compterait 13 autres identifiés, bien armés et recherchés depuis au moins 7 ans. Ces « serriat » agissent indépendamment de la direction de l'organisation. Néanmoins pour des actions importantes, elles se regroupent et renforcent leurs capacités d'attaque. Cela a été le cas lors de l'embuscade de Tidjelabine. Ceux qui suivent de très près la situation sécuritaire dans cette région estiment que le GSPC de Boumerdès diffère totalement des autres groupes de cette organisation qui sévissent à l'Est, une centaine, et ceux sévissant au sud du pays dont les troupes sont constituées d'au moins deux cents personnes. « La particularité du GSPC de Boumerdès réside dans le fait que les terroristes ont, dans leur quasi-majorité, des liens familiaux. Ce qui rend toute dénonciation presque impossible. A cela s'ajoute la situation politique de la région. C'est ainsi que l'axe Boumerdès-Béjaïa en passant par Tizi Ouzou a été totalement dégarni des unités de la gendarmerie. Conséquence : absence d'informations sur les mouvements des terroristes dans la région.... », explique notre source. Selon elle, le GSPC, dont le QG est installé dans la forêt Akfadou, évolue en toute quiétude dans ces monts fortement boisés et accidentés jusqu'à la limite est de la wilaya de Bouira, sans être repéré du fait de l'absence des postes de sécurité. « Les unités de la gendarmerie de Makouda, Boudjina, Boghni, Maâtka et Azeffoun ont été déplacées, ce qui a créé un vide sur tout le tronçon reliant Boumerdès, Tizi Ouzou et Béjaïa. Des populations entières s'installent et se déplacent sans que les services de sécurité en soient informés. C'est devenu presque une zone de non-Etat où les faux barrages destinés au racket des automobilistes sont devenus quotidiens. Le retrait de la gendarmerie a profité surtout aux groupes armés qui ont trouvé un terrain propice pour agir en toute quiétude. Ce qui explique leur ‘'force'' par rapport à celle des autres groupes agissant à l'est ou au sud du pays », a expliqué notre source. D'ailleurs, a-t-elle ajouté, c'est à partir de cette région que les liens qu'entretient l'organisation salafiste avec la nébuleuse d'Al Qaîda ont été tissés via Internet et des émissaires, dont certains ont été abattus par les forces de sécurité. « Si avant, l'Afghanistan était considéré comme étant le centre de l'idéologie du djihad à travers le monde, aujourd'hui après la chute du régime des talibans, c'est l'Irak qui devient la référence en matière de ‘'guerre sainte'' pour les groupes armés islamistes. L'occupation américaine renforce davantage les convictions des extrémistes. Les derniers repentis affirment que les discussions dans les maquis sont souvent liées à la situation en Irak. Ils sont convaincus de leur victoire du fait que le groupe de Zarqaoui a réussi à détruire des hélicoptères et à tuer des marines américains. Nous pensons que s'il n'y avait pas l'occupation de l'Irak, le terrorisme islamiste aurait été totalement vaincu et peut-être que les attentats en Europe n'auraient pas eu lieu. Aujourd'hui, les islamistes radicaux sont plus convaincus qu'avant et il n'est pas exclu qu'ils puissent réveiller des cellules dormantes qui hésitaient à passer à l'action.... » 42 Pakistanais interceptés au Sud en six mois Cette inquiétude est largement partagée par les nombreuses sources sécuritaires que nous avons approchées d'autant que depuis le début de l'année jusqu'au 31 juillet 2005, les gardes-frontières ont intercepté 41 Pakistanais au sud du pays. Ces clandestins ont traversé les frontières du Mali, du Niger et de la Libye pour rejoindre l'Algérie. Bon nombre d'entre eux n'ont pas de papiers d'identité et leur voyage a été organisé à partir de leur pays. Par qui ? Dans quel but ? Aucune réponse n'a pu être donnée aux services de sécurité. Ce qui est certain pour l'instant, c'est le fait que cette filière a pris de l'ampleur depuis 2003 puisque le nombre de Pakistanais interceptés au niveau de la frontière sud du pays a connu une hausse considérable. « Nous savons qu'il y a un nombre important de Pakistanais qui réussissent à échapper au contrôle. Que font-ils ? Chez qui atterrissent-ils ? Vont-ils utiliser l'Algérie comme pays de transit pour partir en Europe ? Autant de questions auxquelles nous ne trouvons pas encore de réponses. Nos frontières sont immenses. Il faut des moyens colossaux pour sécuriser toute la bande frontalière et faire en sorte que l'Algérie soit une véritable barrière contre le terrorisme, notamment du GSPC des régions subsahariennes... » Cette région a tendance à devenir un no man's land, où les terroristes du GSPC sont bien implantés. Grâce à des alliances familiales tissées avec les chefs de tribu, ils ont réussi à circuler en toute liberté, à s'équiper en armement de guerre en puisant de la fameuse rançon de 5 millions d'euros, payée par le gouvernement allemand pour la libération des 14 touristes, pris en otage par Abderrazak El Para durant l'été 2003. La misère qui sévit dans cette région et l'étendue des lieux risquent de faire de cet espace désertique, compris entre au moins cinq pays - Tchad, Mali, Niger, Mauritanie, Algérie - un deuxième Afghanistan. D'ailleurs, au moins trois opérations de convoyage d'armements des pays du Sahel vers l'Algérie ont été avortées par les services de sécurité, ces deux dernières années. La plus récente a eu lieu, il y a à peine un mois, et a permis de récupérer d'importants lots d'armes et de moyens de communication destinés au GSPC du Nord, c'est-à-dire de la Kabylie. Si cette quantité a pu être récupérée, il y a certainement une autre qui aurait pu échapper à la vigilance des gardes-frontières. Les roquettes et les munitions utilisées lors des dernières attaques contre les forces de sécurité ont toutes été importées. « Les filières de convoyage d'armement ont continué à fonctionner. Elles ont juste changé d'itinéraire. Au début, les armes parvenaient d'Europe via le Maroc. Aujourd'hui, elles viennent des pays du Sahel. C'est dire que cette région devient un réel danger... », a déclaré notre source. Pour elle, les Américains ont vite perçu cette menace. Ils ont alors investi les lieux par des moyens de surveillance satellitaire, puis par l'installation de troupes mobiles mixtes dans le but de procéder à des manœuvres communes avec les armées des pays concernés. Il est question de leur apprendre les techniques d'endurance et de guérilla en milieu désertique. Néanmoins, ces moyens restent insuffisants sans les équipements de surveillance électronique, tels ceux financés et mis en place par l'Union européenne tout au long de la frontière algéro-marocaine.