L'embuscade, qui a eu lieu à Takhoukht, renseigne sur l'audace des groupes armés de perpétrer des attaques en plein jour. On assiste à une dangereuse escalade de la violence, depuis le 14 février dernier, c'est-à-dire depuis la série des sept attentats qui avaient secoué l'est de la capitale, Tizi Ouzou et Boumerdès, et fait 7 morts et plus d'une vingtaine de blessés. En moins d'une semaine, au moins des seize personnes, dont une majorité membres des services de sécurité, ont été tuées à l'ouest et à l'est d'Alger, à Aïn Defla et à Tizi Ouzou. En fin de semaine, trois militaires algériens ont été tués et deux gendarmes blessés dans une série d'attaques, deux militaires dans une embuscade tendue par un groupe armé à Feidh El-Botma, et un capitaine de l'armée dans un accrochage lors d'un ratissage au Djebel Boukhlil, une chaîne montagneuse qui s'étend sur toute la région des Ouled Naïl, et qui va pratiquement de Djelfa et M'sila jusqu'à Biskra, en passant par Laghouat. Le lendemain de ces deux attaques, deux gendarmes ont été blessés dans la série d'attaques contre des barrages routiers et des patrouilles des services de sécurité dans la région kabyle, et qui se sont produites dans les régions de Boumerdès, Tizi Ouzou et Bouira. En début de semaine, trois Algériens et un Russe ont été tués et au moins cinq personnes blessées dans un attentat à la bombe contre un autobus transportant des employés d'une société russe près d'Aïn Defla. Parmi les blessés figurent un Russe et deux Ukrainiens, qui ont été évacués par hélicoptère à l'hôpital militaire d'Alger. Alors que de sources non confirmées ont parlé de quatre Russes tués lors de l'attaque. Mais c'est certainement l'attaque de Beni Yenni contre une patrouille de la Gendarmerie nationale, avant-hier, qui est la plus meurtrière. Un premier bilan faisait état de cinq morts, puis deux gendarmes, blessés dans l'attaque, ont succombé à leurs blessures portant le bilan à sept morts parmi les gendarmes. L'attaque, qui a eu lieu dimanche en fin d'après-midi à Takhoukht sur la route menant de Beni Yenni à Tizi Ouzou, cela avant le crépuscule, renseigne sur l'audace des groupes armés de perpétrer des attaques en plein jour (certainement pour pouvoir prendre des vidéo-clips de bonne visibilité, pour les mettre aussitôt en propagande sur les sites web djihadistes) et leur capacité à assimiler et à profiter des tensions sécuritaires, politiques et sociales de la Kabylie, notamment concernant le problème du retour de la gendarmerie dans la région. Cette poussée de violence annonce-t-elle un inquiétant retour à la psychose des attaques terroristes? Bien sûr que non, mais elle renseigne, néanmoins, sur un schéma «à l'irlandaise» qui tend à inscrire la violence dans le temps. Désarticulé un moment par la perte de ses chefs, par la saignée de ses hommes, décimés par les coups de l'armée ou séduits par la réconciliation nationale qui les absout de leurs crimes et leur offre des solutions intéressantes, le Gspc s'est reconstruit de façon extraordinaire. Il adopte depuis lors, une nouvelle stratégie et revient à l'actualité de manière fort effrayante, plongeant dans l'embarras en même temps et les tenants du tout-sécuritaire, adeptes d'une guerre sans merci contre le terrorisme islamiste, et les tenants de la réconciliation nationale, partisans d'une solution négociée avec les groupes armés. Avec un nouveau atout: les attentats à l'explosif à distance. Cette stratégie permet d'opérer des attaques à moindre frais et de procéder à des actions meurtrières à moindre coût, épargnant plus de pertes au groupe. L'attentat de Bouchaoui reste un modèle du genre: «Petit attentat contre une immense publicité» et un fracas médiatique intense. L'attentat commis à la périphérie de la capitale, n'a nécessité que peu d'hommes et peu de moyens, il a nécessité une «répétition» de deux jours et a duré deux minutes, mais son impact a fait le tour du monde en deux heures. Efficace et spectaculaire à la fois. Avec des pertes en hommes estimées à «zéro mort». Les deux attentats qui ont ciblé les commissariats de police de Réghaïa et de Dergana, puis l'attentat de Bouchaoui ont renseigné sur les buts de l'organisation. Le Gspc ne peut, de la sorte, édifier un Etat islamique en Algérie, il en a conscience, mais son objectif est de s'inscrire dans la durée, de vider la région de ses ressources sécuritaires et de maintenir les forces de l'ordre en état de tension permanente. Coup d'éclat ou stratégie de redéploiement, l'attentat de Bouchaoui avait posé un véritable problème aux services de sécurité, en usant d'un «couloir» qui va du Sahel à l'extrême sud, au littoral algérois, dans le nord, et mettant en relief des cellules opérationnelles qui procèdent dans les villes avec des éléments non fichés, non répertoriés, donc inconnus des services de sécurité. Ce qui rend le travail des services de renseignements difficile, car ceux-ci travaillent sur la base du renseignement, dont les sources tarissent peu à peu. Depuis qu'il a prêté allégeance à Al Qaîda, le Gspc tente de se donner une plus grande dimension et une envergure transnationale, afin, d'abord, de justifier sa connexion avec l'organisation de Ben Laden, de frapper ensuite, même symboliquement, des puissances comme les Etats-Unis et la France. Les Etats-Unis ont été cités quatorze fois dans les derniers enregistrements de Zawahiri, et la France huit fois, ce qui les met en première et deuxième position des cibles privilégiées du Gspc-Al Qaîda, tout en mettant les services de sécurité algériens face à un dangereux virage sécuritaire. Les enjeux sécuritaires et financiers qui secouent la région kabyle échappent, pour le moment, à tout contrôle.