Chaque année, j'ai l'impression de voir plus de saleté encombrer les rues et ruelles de la ville où je suis né et où j'aime bien revenir ! » C'est le constat de Mustapha D., 50 ans, parti en 1974 et marié à une Française qui avait eu mal pour le pays durant les années « rouges » ou « noires » - c'est selon - et qui ont empêché le couple avec ses deux enfants de garder des attaches avec une des villes, faisant alors partie du triangle de la mort. Depuis trois années, ils y reviennent assez régulièrement et sont en contact avec les petits cousins, les membres de la famille et... l'incessant souk. « On n'arrête pas de vendre et d'acheter », diront Mustapha et Catherine, et d'ajouter : « Blida est un mégasouk, un grand bazar sans qu'on y trouve des choses de qualité... puis beaucoup de monde dans les rues, à pied, en voiture, partout de l'affluence. » Mustapha se rend compte de l'effet du chômage. « Avant, je croyais que c'était le beau temps qui faisait sortir les gens, mais je saisis mieux la nuance maintenant. » Il évoquera les années studieuses, les rues silencieuses, les escapades du lycée Ibn Rouchd, établissement ayant eu comme élèves prédécesseurs Benteftifa, Lacheraf, Jean Daniel et tant d'autres. « J'ai fait partie de l'équipe de handball de l'USM Blida avec les Benabdellah, Baghdadi et plusieurs jeunes que je ne revoie plus, et j'ai même appris que ce fleuron a pratiquement disparu ; stade Bonnier, les Halles, Bab Sebt et place Ettoute sont des noms indélébiles. » Il regrette qu'un guide de la ville n'existe pas, tout comme un musée ou une radio locale. « Je ne peux rien montrer à mes enfants qui, vous l'avez vu, sont avides de lecture. Par contre, beaucoup de blocs d'habitation ! » Là, il aura une franche discussion avec des cousins présents, où la projection sur le futur était de mise. « Vous allez voir ce qui va sortir de ces ghettos. Il n'y a pas d'infrastructures d'accompagnement, et on remarque déjà des ordures partout. » S'emportant, il répétera plusieurs fois le terme « z'bel » caractérisant plusieurs rues et cités. « Il doit y avoir une organisation pour ne faire sortir sa poubelle qu'au moment où le véhicule de nettoyage passe, et qu'on inflige des amendes aux contrevenants. » La veille de son retour sur Avignon via Paris, où il a vécu plus de vingt ans, il fera remarquer l'absence de salles de cinéma. « Que sont devenus les cinémas Miami et Rex ? J'ai été choqué de voir que la salle qui servait de ciné club à nos jeunes lycéens de l'époque soit devenue une cantine pour nécessiteux. C'est tout un symbole de la misère multiforme. » Lui qui est technicien du son ayant participé à plusieurs réalisations de films et documentaires, en parlait avec amertume. Se reprenant, il se dit tout content par ailleurs d'avoir découvert la plaine de la Mitidja qui reprend vie avec toute la verdure, démontrant une prise en charge concrète. « Avec une agriculture qui revient à ses véritables travailleurs, on peut dire tant mieux par rapport aux années de volontariat de la révolution agraire, où pas mal d'expériences ont été vécues et qui ont servi au moins à former l'être humain. » Le petit Iban, 8 ans, n'osait toucher à aucune friandise, attendant le signal de son père dans la maison des parents même. « Il a appris à manger à des horaires fixes, et cette discipline devient un comportement à partir du moment où l'adulte fait de même. » L'allusion était claire à toutes ces pizzerias, crèmeries, pâtisseries ayant proliféré au centre-ville qu'on venait de quitter pour la quiétude de la banlieue juste avant le début des cités dortoirs. Le climatiseur arrivait à brasser assez d'air frais, faisant ainsi oublier la fournaise de l'extérieur où un nuage de fumée grise étoilée de cendres pesait sur les passants. La forêt de Chréa brûlait et on parlait de trois foyers d'incendie. C'était l'occasion de discourir encore des moyens dont doit disposer une ville de l'importance de Blida avec un parc naturel tout proche et qu'il s'agit de protéger. « Je sais qu'il n'est plus permis d'arpenter les sentiers de montagne, et c'est ainsi qu'on mesure le fossé qui sépare notre pays de l'Occident. Un volet entier - le tourisme - est méconnu et il s'agit uniquement du tourisme populaire qui fait nouer des relations durables entre jeunes de plusieurs régions et plusieurs nationalités. » Pour Mustapha, les lieux visités à chaque retour sont contés dans le détail à son entourage à Avignon, où on aime bien taquiner le poisson sur le Rhône. Tipaza, Cherchell, Gouraya, Damous, Beni Haoua, Ténès sont devenus presque des noms communs tout comme Blida, Bab Rahba, Bab Khouikha, Bab Zaouia ou Bab Dzaïer.