La salle des conférences du Palais des nations, Club des Pins, à l'ouest d'Alger, est pleine comme un œuf en ce dimanche aoûtien. Les cadres de la nation prennent place, occupant le moindre espace. Tout le gotha algérien est là. Le staff gouvernemental, les hauts cadres des ministères, les walis, les associations patronales, les cadres de l'UGTA... Des chefs des partis politiques ou leurs représentants sont aussi là. Excepté le FFS et le RCD. Les directeurs de journaux également. Annoncé à midi et demi, le président de la République entre dans la salle à 14h45. Il se dirige au perchoir, accompagné de son « assistant », Ahmed Ouyahia, le chef du gouvernement. En bas, Larbi Belkheir, chef de cabinet de la Présidence, et le général-major Gaïd Salah, chef d'état-major de l'Armée, prennent deux directions différentes pour s'asseoir. Amar Saâdani, président de l'APN, et son voisin de la Chambre haute du Parlement, Abdelkader Bensalah, gagnent vite leur place. Tout est prêt. Le show va commencer. Ahmed Ouyahia prend la parole, prononce quelques mots de bienvenue, insiste sur l'importance de l'événement et cède la parole au chef de l'Etat. Abdelaziz Bouteflika, feuilles du discours à la main, monte à la tribune pour ne redescendre qu'après plus d'une heure. Pour commencer, il mène l'assistance en Irak, où ont été exécutés deux diplomates algériens par la branche locale d'Al Qaîda. Il suscite une émotion. « Le drame que nous venons de vivre avec l'enlèvement de nos deux diplomates à Baghdad et leur exécution par une bande de terroristes vient s'ajouter au cauchemar dans lequel notre pays a été plongé depuis une quinzaine d'années », indique-t-il devant l'assistance plongée dans un calme plat. Tout le monde écoute attentivement ce que dit le premier magistrat du pays. On leur a dit avant de venir qu'il prononcera un discours « important ». Très important même, pour reprendre la phrase d'ouverture du chef du gouvernement. D'un ton énergique, Abdelaziz Bouteflika poursuit la lecture de son discours. « L'Algérie a failli ainsi sombrer dans la tourmente terroriste. Son Etat a vacillé. Son peuple a été déchiré », souligne-t-il. Aucun applaudissement jusque-là. Toujours debout, il rappelle que l'Algérie a versé pour sa survie un tribut très lourd. « Des dizaines de milliers de morts, plus de vingt milliards de dollars de destructions », indique-t-il, et d'ajouter qu'il n'y a pas de chiffres exacts sur le nombre d'Algériens morts emportés par « la tragédie nationale ». Ainsi, le président s'incline, de nouveau, verbalement et avec ferveur, à la mémoire des martyrs du devoir national et à celle de toutes les victimes du « terrorisme abject ». Il remonte ensuite à l'époque de 1999 pour rappeler ses engagements dès son premier mandat à ne pas « ménager aucun effort ni aucune initiative pour éteindre le feu destructeur de la fitna ». Il rappelle que cela a été rendu possible grâce au courage et aux sacrifices du peuple. En particulier, les familles des martyrs du devoir et des victimes du terrorisme. Il revient ainsi sur les succès de la politique de concorde civile pour montrer la justesse de sa conception de la crise. Il rappelle à l'occasion que « la sécurité est restaurée », avant d'attester que « les Algériens ont retrouvé leur légitime aspiration à rebâtir leur patrie ». Sans dire comment. « Nos enfants se comptent par milliers », observe-t-il dans un air de compassion. « Les uns parce que leurs parents sont tombés en défendant la patrie. D'autres parce que leurs parents ont pris les armes contre cette même patrie. Et d'autres, encore plus nombreux, se sont retrouvés seuls et abandonnés du fait de la démence terroriste », ajoute-t-il. « La nation algérienne est la grande famille de tous ces orphelins. Elle saura en prendre soin et assurer leur avenir. » La vengeance et la haine ne sont pas exclues dans ce magma et patchwork inextricables. Le Président appelle ainsi la nation à « veiller à éloigner » des cœurs innocents de ces orphelins « les germes mortels de la haine et de la vengeance ». Toujours silence dans la salle. Abdelaziz Bouteflika entre dans le vif du sujet de la journée. « La réconciliation nationale constitue un défi de haute élévation morale interpellant notre foi et notre patriotisme : il faut donc nous y préparer », martèle-t-il. Il précise que la volonté de réaliser effectivement la réconciliation nationale ne « signifie pas l'oubli ». Il relève ainsi le silence de l'Occident sur le terrorisme qui a ravagé le pays. Il a même ressuscité la thèse de ceux qui s'interrogeaient sur « qui tue qui en Algérie ». « Sans haine et sans rancœur », précise-t-il. Il cite au passage la mobilisation internationale contre le terrorisme. Il déplore que cela n'ait pas été fait lorsqu'il s'agissait de l'Algérie. Sans tarder, il annonce le référendum sur « la charte pour la paix et la réconciliation ». Ce document est déjà prêt. Il prévoit une amnistie pour les terroristes ayant déposé les armes, une grâce pour les personnes condamnées ou détenues pour des actes de terrorisme autres que les massacres collectifs et l'extinction des poursuites judiciaires contre ceux qui ont mis fin à leurs activités armées (lire l'article de Djamel Zerrouk). Il fixe la date du référendum pour le 29 septembre prochain. « En vous rendant aux urnes le 29 septembre prochain pour exprimer librement et souverainement votre décision sur le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale, c'est un choix décisif que vous effectuerez pour l'avenir de l'Algérie et pour celui de nos enfants », lance-t-il à l'adresse du peuple. Le discours est retransmis en direct à l'ENTV. Il continue sur sa lancée. « Certains pourraient accueillir ce projet comme une provocation face à leur douleur encore vive. C'est un sentiment que nous respectons mais qui invite aussi à des interrogations : combien de victimes faudra-t-il encore, après les 100 000 victimes que nous avons déjà enregistrées, pour apaiser la douleur de ceux qui ont perdu des êtres chers ? Quel tribut plus tragique devons-nous encore payer ensemble pour des aberrations politiques qui ont démontré leurs sanglantes conséquences ? », se demande-t-il. Il considère cela comme « la seule pour ne pas dire l'unique solution judicieuse que les grands équilibres du pays permettent aujourd'hui ». Il s'engage à respecter le choix du peuple quel qu'il soit. Mais la bataille est déjà gagnée pour lui. Car, pour lui, même si « des voix connues ne manqueront pas de s'élever pour tenter de s'opposer à cette attente populaire légitime », elles « seront sans aucun doute les mêmes que celles qui, à l'intérieur et à l'extérieur, ont assisté hier silencieuses aux horribles tueries qui nous ont frappés dans notre chair et dans notre âme ». Il ne doute pas que ce « silence coupable hier les a disqualifiés de s'ériger aujourd'hui en censeurs de la volonté du peuple souverain, comme elles se sont retrouvées disqualifiées déjà, dans leurs vaines tentatives de se dresser contre la concorde civile ». Le président de la République termine son discours sous, cette fois-ci, des tonnerres d'applaudissements. Le show est fini. Tout le monde rentre chez lui. En attendant la campagne.