Au cimetière de Aïn Youcef, à quelques encablures au nord de Tlemcen, une tombe s'abrite sous un saule pleureur. Un géant y est enterré, celui-là même qui a damé le pion sur la scène internationale à Arnold Schwarzeneger, actuel gouverneur de Californie, plus connu par son rôle dans Terminator. Seules les inscriptions coutumières sur les pierres tombales fournissent une identification : Mohamed Benaziza né en 1959, décédé en 1992. Mais, faut-il encore savoir que dans cette tombe repose M. Univers. Une rétrospective sur la carrière de Benaziza dit « Momo » ne pourrait que sortir de l'oubli ce géant de la musculature. Sa mère et son frère Slimane, qui sont venus de France passer des vacances à Aïn Youcef, nous apprendront que Momo s'est lancé dans le sport par la voie du football ; il évoluait au sein d'une équipe de l'entreprise hydraulique de Lyon. Venu en 1978 en Algérie, précisément à Oran, pour effectuer son service national, il a été déclaré inapte à cause de ses pieds plats. Dans l'attente de sa libération qui a duré six mois, il fréquenta une salle de musculation où il prit goût à la gonflette. Avec un gabarit de 1,58 m et 53 kg, il décida une fois à Lyon de fortifier sa musculature. Sous les conseils de Gérard Buinoud, il progresse très vite. Son ami Mimouni Mohamed, connu à Tlemcen sous le pseudonyme de Zimbombom, nous dira : « A vrai dire, au début quand il venait durant des passages en Algérie s'entraîner chez nous à la salle Boukli, on ne le prenait pas en considération. Mais sa farouche volonté a fait de lui en peu de temps une véritable force de la nature ». Momo se met en tête la compétition et prépare le championnat du monde IFBB amateurs, qui se déroule à Madrid en Espagne en 1987. Il remporte le titre et passe automatiquement à la catégorie professionnelle. En 1988 à Los Angeles, il présente un physique extraordinaire et bat des champions de renom comme Arnold Schwarzeneger, Lee Haney, Robby Robinson, Shawn Ray. Il devient Monsieur Univers. Les Américains le surnomme « le tueur des géants ». Il est vrai qu'à ce niveau, la jalousie enfante des monstres, surtout, dira sa mère, qu'il était algérien. Effectivement, Benaziza arrivait sur scène en burnous blanc pour marquer son identité algérienne et à chaque succès, il brandissait l'emblème national. A ce propos, sa mère et son frère nous parlèrent de sa conviction algérienne et de son patriotisme. Son ami Zimbombom le confirmant, nous dira : « Je me rappelle que pour aller à la compétition de Madrid, la fédération avait refusé de lui octroyer 150 dollars, malgré cela, il m'avouera que ce n'est pas pour cette raison qu'il perdra son nationalisme et ajoutera ‘'j'aime mon pays'' ». Aujourd'hui, ce même pays l'a oublié. Il n'y a ni tournoi ni compétition en son nom. Sa mère soutiendra que les Américains chez qui il était affilié lui imposèrent un rythme infernal de compétitions alors qu'il devient dangereux de dépasser plus de trois exhibitions. L'année 1992 lui sera fatale. Un programme assez sévère de compétitions lui est imposé. A Amsterdam, où il s'est classé premier, apparaissant comme un rival indétrônable, Momo sentit un malaise. Comme pour tous les culturistes, « il y a syncope, dira Zimbombom après la compétition, il n'y avait pas de quoi s'affoler, mais le cas de Benaziza s'aggrava rapidement ». La rumeur s'étant répandue, on l'incrimina de dopage et d'overdose. Les ennemis de ce géant algérien n'avaient aucun scrupule. Le procès-verbal d'expertise établi par le docteur T. Van Den Doc, médecin à Dirksland (Amsterdam) révèle que Benaziza a succombé suite à un arrêt cardiaque provoqué par un œdème pulmonaire dû à une déshydratation. Le frère du défunt ajoutera que l'intervention médicale a été lente et qu'au lieu de lui injecter du potassium en intraveineuse pour faire front rapidement à sa déshydratation, on lui administra un cachet alors qu'il vomissait. Benaziza rendit l'âme, alors qu'il venait de se classer 1er et de brandir le drapeau algérien. Aujourd'hui, celui qui a été champion du monde, repose dans la terre de ses ancêtres. Ne mérite-t-il pas un honneur.