Les récentes déclarations du président du Sénat italien, dans lesquelles il affirmait que l'Occident était victime « d'une guerre sainte » et accusait l'immigration « de métisser l'identité européenne », ne cessent de susciter des réactions indignées en Italie, et la dernière provient de l'Eglise catholique elle-même. Deux cardinaux italiens, et non des moindres, puisqu'il s'agit du président du Conseil pontifical pour la justice et la paix, et de l'archevêque de Gênes, ont pris leurs distances par rapport à la polémique suscitée par le représentant de la deuxième institution de la République italienne. Philosophe, conservateur et catholique convaincu, Marcello Pera n'en est pas, à vrai dire, à sa première sortie islamophobe. Mais cette fois- ci, ses paroles sont tombées comme un cheveu dans la soupe, car prononcées à la tribune officielle du prestigieux meeting international de Rimini, « Pour l'amitié entre les peuples », organisé par le mouvement ecclésial catholique Communion et Libération. Plusieurs personnalités de différentes cultures, religieuses et politiques sont invitées, chaque année, dans la fameuse ville balnéaire de la Riviera italienne, pour débattre de thèmes relatifs à la foi, au dialogue entre les religions, au bien-être de l'humanité. Cela explique que les responsables du rassemblement se sont trouvés dans une position embarrassante après le « prêche » du représentant du sénat. Le porte-parole du meeting, Roby Ronza, a tenu à préciser, lors d'une conférence de presse, que Communion et Libération partageait plusieurs points de l'intervention de Pera, « sans avoir, toutefois, un total et identique point de vue ». Au nom de l'Eglise, le cardinal Renato Raffaele Martino a affirmé, dans un message envoyé à Pera : « Nous devons insister sur la voie du dialogue avec l'Islam et les autres religions. Nous devons, avec ténacité, encourager le dialogue, on ne peut pas céder à la tentation d'invoquer un clash des civilisations ». Ajoutant : « qui, par ailleurs, n'a jamais eu lieu ces dernières années. » Un autre cardinal, l'archevêque de Gênes, Tarcisio Bertone, s'est dit « étonné » des déclarations de Pera et a rappelé les consignes du pape Benoit XVI à Cologne lors des récentes Journées mondiales de la jeunesse (qui se tiennent chaque trois ans dans un pays catholique). « Je crois que les jeunes ont saisi au vol les consignes du pape qui appelle au dialogue interreligieux, et à faire un effort commun non seulement entre les membres des confessions chrétiennes mais de toutes les religions. »La partie du discours du président italien, long de 27 pages, qui avait suscité la protestation, disait en substance. « Que devons-nous faire quand l'autre ne nous concède pas la réciprocité et le respect, nous déclare une guerre comme le fait aujourd'hui le terroriste islamique qui nous combat, même, avec une guerre de religion. » Pera a défendu la théorie, jugée alarmiste, selon laquelle « l'Occident affronte une crise interne et est exposé à l'attaque d'ennemis qui lui ont déclaré une guerre sainte ». S'en prenant à l'immigration, Pera, explique que « la culture qui s'est diffusée en Occident est un danger pour l'Occident lui-même » et accuse ceux qu'il considère adeptes de « la doctrine du relativisme qui veut que toutes les cultures sont égales, qu'on ne peut les comparer et qu'on ne peut les mettre sur aucune échelle pour juger si l'une est meilleure que l'autre, s'amusent avec le feu ». Même le multiculturalisme ou les identités plurielles ne trouvent pas grâce aux yeux du philosophe italien, « en Europe, on pratique le multiculturalisme comme un droit d'identité irréductible de toutes les communautés. Il n'importe pas si cela génère de l'Apartheid un ressentiment, des terroristes de seconde générations », avant de décréter que « l'immigration incontrôlée produit des métis ». A cela, le coordinateur du Mouvement des Verts italien, Paolo Cento, a répondu durant le meeting de Rimini : « Les paroles de Pera sont incendiaires et veulent alimenter une guerre au nom d'une présumée identité supérieure de l'Occident ». Le chef du groupe des Parti des Communistes italiens, Marco Rizzo, a qualifié, lui, la vision de Pera de « idéologique, anti-historique et restrictive », car elle contribue, selon lui, « à amorcer l'affrontement entre civilisations. C'est la mauvaise réponse au mauvais moment », en espérant une « tardive autocritique » de Pera.Une autre députée de gauche, Livia Turco, réfute catégoriquement l'équation « multiculture égal terrorisme ». Le président des sénateurs des Démocrates de gauche (Ds), Gavino Angius, choisit l'humour pour alimenter la polémique : « S'il y a un cas de relativisme culturel, c'est bien celui de Marcello Pera. » Parlant de « conservatisme confessionnal », le sénateur Angius estime que le discours de son collègue « démontre toute la faillite du patrimoine culturel de Forza Italia (parti di Silvio Berlusconi) et de la droite italienne ».Et pendant que la polémique est nourrie, un tour dans la librairie du meeting de Rimini permet de constater que les livres les plus vendus sont ceux de l'écrivain islamophobe Oriana Fallaci, La Rage et l'Orgueil et La Force de la raison, talonnés de près par le nouveau Catéchisme de l'église catholique. Le président du Sénat italien avait peut-être raison, tout compte fait, en parlant d'une crise morale de l'Occident.