Les musulmans d'Italie, qu'ils soient pratiquants ou laïcs, se sentent fortement offensés par cette démarche injustifiée, à leurs yeux, et que les autorités italiennes ont menée unilatéralement, sans demander leur avis aux premiers concernés. Rome. De notre correspondante Car même si le ministre de l'Intérieur, Giuliano Amato, jure que ce document concerne toutes les communautés d'immigrés résidant dans la péninsule, personne n'est assez dupe pour avaler cette version des faits, car le texte qui interdit la polygamie, la séparation entre les sexes dans les lieux publics et le port du voile qui couvre le visage s'adresse évidemment aux habitants de confession musulmane. Parmi les points contestés par les concernés, celui qui stipule que l'Etat garantit aux enfants des immigrés leur protection « dans la fréquentation de leurs camarades du même âge et la pratique des activités sociales nécessaires à leur épanouissement ». Les parents musulmans estiment que c'est une ingérence dans leur liberté d'éduquer leurs enfants selon les traditions et les principes qu'ils jugent convenables. Ces derniers craignent de ne pouvoir plus exercer aucune autorité morale sur leurs chérubins. « Mon gosse pourrait invoquer la charte pour me dénoncer si je veux, par exemple, lui interdire de rentrer tard ou de s'adonner à l'alcool », nous explique, préoccupé, Kamel, cadre algérien, père de deux adolescents et pourtant très permissif dans l'éducation de ses enfants. Il faut rappeler que ce projet avait été évoqué en pleine attaque israélienne contre le Liban, lorsque l'Union des communautés islamiques d'Italie (Ucoii) avait acheté un espace publicitaire dans certains journaux italiens pour exprimer sa solidarité aux victimes civiles libanaises et avait accusé, dans le texte publié, l'armée israélienne de se comporter comme le firent « les Nazis allemands durant la Seconde Guerre mondiale ». La communauté juive et les lobbies pro-israéliens avaient réagi violemment à ces propos et avaient demandé aux autorités italiennes d'interdire l'Ucoii et de promulguer des lois « plus sévères qui interdisent l'antisémitisme ». Il faut dire que ces faits succèdent à une campagne d'islamophobie très accentuée durant laquelle d'influents intellectuels italiens, dont l'écrivain Oriana Fallaci (décédée depuis) ou l'ancien président du Sénat italien, Marcello Pera, affirmaient haut et fort que « les valeurs occidentales et chrétiennes sont supérieures à celles islamiques » et qualifiaient les musulmans d'individus « intolérants qui menacent les valeurs des Européens ». C'était aussi l'époque où l'ancien titulaire du ministère de l'Intérieur, Giuseppe Pisanu, (de droite) qui a laissé le souvenir du ministre qui a expulsé le plus d'immigrés musulmans parfaitement en règle, accusés trop sommairement de terrorisme, nourrissait lui aussi l'idée d'obliger les musulmans à adhérer à un texte qui les dissuaderait de « pratiquer la polygamie et de battre leur femme et enfants ». Bourreaux et victimes La diffusion de ces préjugés contre les immigrés de confession musulmane a été encouragée, paradoxalement, par des ressortissants de pays musulmans qui, pour faire carrière et s'attirer les grâces des responsables italiens, n'ont pas hésité à s'inventer des victimes maltraitées et des maris musulmans violents et polygames. Eux-même manipulés par des Italiens islamophobes, ces derniers ont aggravé le mode superficiel avec lequel les médias italiens traitent les thèmes qui touchent à l'Islam. Parmi eux, une Marocaine, Souad Sbai, un personnage créé de toute pièce par les islamophobes italiens (dont des députées d'extrême droite) et qui, s'autoproclamant présidente d'une association qui regroupe quatre de ses concitoyennes, de très modeste extraction culturelle, et nullement représentatives des musulmanes vivant en Italie, a fait beaucoup parler d'elle en dénonçant avec une régularité déconcertante, des abus commis par des maris et pères musulmans sur leurs femmes et enfants. Des situations évidemment condamnables si elles étaient réelles, mais difficilement vérifiables, qui ont cependant produit une véritable propagande antimusulmane, qui fait que le reste des musulmans doit produire un effort colossal pour convaincre les Italiens que la communauté musulmane ne se divise pas en hommes bourreaux et en femmes victimes. L'autre motif pour lequel la charte du ministre de l'Intérieur, Giuliano Amato, un homme de grande culture et qui s'est employé à faire réviser l'ancienne loi de l'immigration promulguée par la droite, irrite les musulmans d'Italie, c'est le fait que sa rédaction ait été confiée à un comité scientifique constitué de trois universitaires italiens. Ceux-ci ne passent pas pour être de véritables experts de la question musulmane et de deux Arabes qui ont en commun de se dire Algériens, alors que l'un est Tunisien et l'autre Marocain. Adnane Mokrani, un jeune journaliste tunisien, qui a fait ses études secondaires à Alger, et qui prépare sa spécialité en théologie à l'université grégorienne de Rome et député du parti récemment dissous, la Margherita, Khaled Fouad Allam, un universitaire marocain, de mère syrienne, qui enseigne « sociologie du monde musulman » dans une petite université du nord d'Italie et qui est sorti de l'ombre de manière spectaculaire depuis qu'il se présente comme un grand expert d'islamisme et de terrorisme. Allam, né à Tlemcen, marié à une Italienne, a passé la plus grande partie de sa vie en France et en Italie. La Charte des valeurs pour la citoyenneté et l'intégration, si elle n'a pas encore de valeur juridique, risque de devenir un instrument de cœrcition contre les musulmans désireux de renouveler le permis de séjour ou de demander la nationalité italienne. C'est en tout la préoccupation majeure des musulmans d'Italie, pratiquants et laïcs.